In Her Words: Elizabeth Baudouin
6 years ago by
Pendant la plus grande partie de ma vingtaine et du début de ma trentaine, j’ai porté un uniforme quotidien composé d’un jean noir, de boots Chelsea noires et d’une longue et fine veste noire parfois remplacée par un blazer. Je me mettais du noir sur les yeux, je peignais mes ongles selon mon humeur, comme dix mini enseignes vantant mon comportement pourtant obscur. Sans m’en rendre compte, je cultivais un look quotidien du style “je suis bien toute seule, ne vous occupez pas de moi”, également connu comme l’énergie qui dit à la société : je suis Une.
Mon Unicité est née tôt. Enfant unique, j’ai appris à la fois l’art de me distraire moi-même et de partager avec des sentiments mêlés. Je n’avais pas conscience des besoins et des envies des autres, c’est venu beaucoup plus tard, quand je me suis fait des amis au lycée.
Avec les années, je suis devenue maître dans l’art d’être Une. Mon uniforme habituel me servait d’armure quand j’allais au cinéma, au concert, ou que je mangeais n’importe quel repas de la journée seule. Je faisais mes propres trucs au bureau et le weekend je n’avais pas de mal à sortir seule. Je gardais ma musique et mes cigarettes à proximité et le reste (avec les autres) à une distance respectable. De manière intentionnelle, je me protégeais et, de manière subconsciente, je protégeais mon coeur.
Je me retrouvais dans des situations amoureuses qui n’avaient aucune chance de se transformer en un Deux et dont la seule issue était moi restant Une. Pendant presque 10 ans, j’ai été prise dans un cycle façon Mr. Big au féminin. A chacune de nos ruptures, je ne sortais qu’avec des personnes qui n’étaient évidemment pas disponibles, des solitaires qui ne cherchaient pas à devenir Deux ou vivaient à des milliers de kilomètres à l’Est ou à l’Ouest de Los Angeles. Et pour finir, je me suis retrouvée à 33 ans cachée sous une armure de jean sans expérience de relations stables, entourée d’amis qui se mariaient tous.
Mais voilà : au fond, je voulais vraiment devenir un Deux. Intrinsèquement, je savais que si c’était ce que je voulais, j’allais devoir changer. Après avoir beaucoup réfléchi sur moi-même et lu Brené Brown, j’ai décidé de changer mon script.
Après avoir vécu assez longtemps à Los Angeles, vous savez que le meilleur moyen de changer quoi que ce soit est d’aller dans le désert. Donc j’ai mis du quartz fumé dans ma poche, j’ai roulé jusqu’à Joshua Tree, et, sous la pleine lune, j’ai fait une liste de tout ce que je recherchais chez un partenaire. Je suis retournée en ville avec des intentions claires et mon énergie rechargée pour attirer un amour sain dans ma vie.
Peu après, une femme qui, selon moi, descendait de Cléopâtre, s’est assise en face de moi alors que je prenais un café avec une de mes meilleures amies. Il se trouve que cette réplique de Cléopâtre était l’autre amie proche de mon amie et que, grâce à un alignement de planètes, nos rendez-vous s’étaient superposés, de sorte que nous étions toutes assises en terrasse au Cafe Figaro. A un moment, nos regards se sont croisés et elle a déverrouillé l’accès à cette part de moi vulnérable qui se cachait derrière une porte.
Après notre café, je n’ai pas pu laisser s’envoler ce sentiment et, alors que je marchais vers ma voiture, j’ai fait demi-tour et j’ai rejoint mon amie qui faisait du shopping dans une friperie à l’angle de la rue.
“Oh, hey, m’a dit mon amie à travers une chemise en flanelle vintage, ça va ?
– Hum, j’ai répondu, ton amie est merveilleuse.
– Oui, c’est sûr, c’est bien ton type, a-t-elle continué en faisant référence à mon penchant pour les filles avec un look particulier.
– Non, non, j’ai insisté. C’est bien plus que ça. Elle est belle, drôle, stylée, elle parle du pouvoir guérisseur des herbes chinoises. Elle est…
– Oui. Elle est géniale, a confirmé mon amie. Dommage qu’elle ne soit pas disponible en ce moment.
– Ok. Alors, s’il te plaît, ne nous réunis pas à nouveau dans la même pièce. Ce serait cruel.”
La vie a continué pendant quelques mois sans que j’entende parler d’elle, jusqu’à un certain dimanche soir. Je lisais tranquillement The New Yorker dans mon lit et mon amie m’envoie un message :“Cléopâtre est célibataire maintenant et elle voudrait te voir.” Même si j’aurais voulu répondre avec l’emoji des mains en prière pour exprimer ma gratitude envers l’univers, j’étais encore une Une et j’ai préféré une réponse sobre :“Organise le rdv.”
Un dîner de groupe a eu lieu, de nouveau au Cafe Figaro, et quand elle est arrivée, j’ai fait ce que n’importe quelle Une qui veut devenir un Deux fait : je l’ai ignorée toute la soirée. Heureusement, c’est une femme qui sait ce qu’elle veut, elle m’a suivie sur le parking après le dîner et nous avons décidé de nous revoir.
Je voulais que notre premier rendez-vous soit parfait. Le style de Cléopâtre était tellement recherché que je voulais être sûre d’être séduisante. J’ai stressé pendant des heures sur le t-shirt que j’allais porter sous ma veste fine. Nous nous sommes retrouvées dans un café Downtown et, au bout de quinze minutes, ma veste est tombée, j’étais complètement investie. Très tôt le lendemain matin, il y a eu un petit tremblement de terre et elle est la première personne à qui j’ai pensé à écrire.
“Ça va ? C’est normal un tremblement de terre à LA, non ?”
“Oui, complètement normal. :) Ça va aussi ?”
Nous étions en train de veiller l’une sur l’autre même à 5 heures du matin, et à partir de ce moment-là, nous avons su toutes les deux que nous avions quelque chose à vivre. A ce moment-là, mon Unicité est partie loin.
Malgré tous mes nouveaux sentiments euphoriques, il m’a fallu un peu de temps pour m’habituer à l’aspect pratique d’être un vrai Deux. Pour commencer, c’était ma première relation qui durait plus de huit semaines d’affilée sans rupture et encore aujourd’hui, je suis toujours surprise qu’elle soit encore là. De plus, je n’étais pas habituée à parler autant. L’existence est relativement solitaire quand on est Une et il a fallu que je devienne plus bavarde pour être un Deux solide. Et puis, quand on est Une pendant si longtemps, l’habitude de prendre soin de ses propres besoins s’ancre profondément. Pour exister dans un Deux honnête, il faut s’adapter aux besoins et à l’emploi du temps de l’autre. Même si je m’améliore, j’ai encore une marge d’amélioration de ce côté.
C’est dans ce Deux que pour la première fois quelqu’un a remis en question ma tenue.
“Pourquoi est-ce que tu ne portes que des jeans ? a-t-elle demandé un soir.
– Je ne sais pas. J’ai toujours porté des jeans, ai-je soupiré.
– Tu serais belle dans quelque chose d’autre aussi, on va bousculer un peu tout ça.
– Tu sais que si tu y arrives, tu seras la première personne à réussir à me faire porter autre chose qu’un jean.
– Eh bien il est temps. Tu te caches derrière tout ça, a-t-elle dit en montrant du doigt mes différentes couches de vêtements.”
J’adore le fait que Cléopâtre puisse voir à travers moi. Et elle est tellement honnête avec moi que je peux la voir aussi. Je trouve la synergie d’être un Deux profondément épanouissante et je savoure les petites choses qui manquent quand on est Une. Alterner pour faire le café, être les seules à rire au cinéma, se partager les choses à voir en voyage et les corvées d’orientation sur le terrain, imaginer de futurs scénarios ensemble, faire ressortir les forces de l’autre et prendre soin de ses faiblesses. Surtout, et c’est peut-être le plus important, il y a la richesse insoupçonnée d’être la personne de référence de l’autre pour les questions importantes comme “Chérie, est-ce que le pommeau du salon de coiffure peut me donner des mycoses du cuir chevelu ?” C’est beau.
Ce qu’il y a, c’est que plus nous nous rapprochions, plus je voulais protéger notre Deux, et plus je voulais le protéger, plus j’avais peur de le perdre. J’arrivais plutôt bien à oublier cette peur au quotidien mais elle réapparaissait dans les simples disputes. Avant, j’étais habituée à ce que toute dispute, quel que soit son degré de complexité, s’achève sur quelqu’un faisant ses valises et annulant tous futurs plans. Heureusement, elle avait une longue expérience dans le fait d’être Deux, la patience d’un saint, et un vrai talent pour la communication.
“Tu veux que je parte ? lui ai-je demandé, avant la réconciliation.
– Quoi ? s’est-elle exclamée en riant. Non !
– Tu es sûre ? ai-je demandé.
– Ecoute, nous sommes deux personnes différentes. Nous ne serons pas toujours d’accord. Les couples ne sont pas toujours d’accord, ensuite on en parle et on se rapproche. C’est une bonne chose.
– Vraiment ? ai-je demandé.
– Oui. C’est comme ça que fonctionnent les relations saines, d’accord ?
– D’accord, ai-je dit avec confiance.
– Elizabeth, a-t-elle dit en s’assurant que je l’entende bien, je ne vais pas partir.”
Bingo. Elle savait exactement quoi dire. L’essence de mes années de Une était révélée et je me suis révélée. Vêtue d’un pantalon de coton, les ongles au naturel et les pieds nus, je me tenais là, émue, à laisser s’envoler toutes mes pensées nocives.
“Ne t’inquiète pas pour ça, a-t-elle dit. Tu n’as plus besoin de te protéger.”
Ensuite elle a dit ces cinq petits mots qui sont aujourd’hui encore l’essence de notre Deux : “Je suis là pour toi.”
Elizabeth Baudouin is a writer/producer/creative who lives with her partner in New York City and Los Angeles. She is currently completing her debut book of essays. You can follow her on Instagram here and read more of her work here.
As a One myself, this made me tear up a little bit. Love love love!
Well done! After 34 years in a relationship, I’m not sure if I’m a closeted one or a half-reluctant two but you’ve nailed the feeling right here. They are both parts of certain personalities. I have friends who…simply CAN’T do a meal out or a movie alone. So whatever you are…it’s good to practice the other.
This was beautiful to read — thank you for sharing so frankly and openly.
This made me tear up like it was the sentimental/pathos sequence of a Pixar film. I was a One for soooooooooo long, for so many of the same reasons. My desert trips never actually transformed me – too many drugs and not enough smoky quartz, probably – but my path of learning/appreciating Twoness, and all of the ways it scared me, well…the author nails it. Thanks for writing.
I’m a One, too. This captures so well how I’ve moved through life. Recently, I’ve been calling it solitary. I like calling it One and Oneness better, so I will adopt this language. Thanks for giving it to me. Now…to move toward being a Two… Grateful to you for this piece!
Trop mignon :-)
So beautiful and to the heart… perfection.
i love this piece. well done :)
As a longtime One I really loved this. Thanks for sharing and explaining it so well. I totally relate ??????
As a longtime One I really loved this. Thanks for sharing and explaining it so well. I totally relate ??????
So moved by this piece. Told from the heart.
An absolutely wonderful article. I live with my best friend who is the best thing that ever happened to me. It took me some time to let her enter my word but now I feel like we are inseparable. And it is great to hear, that other people were blesses in such a wonderful way (and also that the arguments are normal!). Thank you for this beautiful piece. I wish everyone to find their soulmate.