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In Her Words: Elizabeth Swanson on Piano Lessons

4 years ago by

Quand j’étais petite, ma mère avait quelques règles très particulières. Parmi elles, le fait que si quelqu’un chantait dans la maison, on ne pouvait jamais lui dire de s’arrêter, à n’importe quelle heure. Une autre règle spécifiait que quand on faisait quelque chose de productif ou de créatif, comme avoir une conversation intéressante, faire une balade à vélo ou lire, on pouvait se coucher quand on voulait. Mais si on regardait la télé, par exemple, alors il fallait respecter l’heure du coucher ! Mais il y avait une règle pour laquelle elle était célèbre, sur laquelle elle était intraitable et ne dérogeait pas : mes frères et soeurs et moi devions prendre des leçons de piano, jusqu’à la fin du lycée.

Nos autres activités pouvaient changer : natation, danse classique, tennis, gym, foot, softball. Mais le piano, le piano a toujours été là. Elle ne tenait pas à cette règle parce qu’elle voulait faire de nous des pianistes professionnels. Elle voulait simplement que nous puissions aller nous asseoir pour jouer en voyant un piano dans une pièce. En tout cas, c’est ce qu’elle répondait. Je l’entends encore le dire, elle le répétait souvent quand nous râlions pour nous entraîner le soir après l’école.

Ma mère n’est pas une pianiste professionnelle mais elle joue bien. Ma grand-mère lui a fait apprendre le piano, à elle et à ses frères et soeurs. Ma grand-mère avait appris en écoutant. Pendant toute mon enfance, ma famille s’est réunie autour du piano. C’est un objet de nostalgie à mes yeux, un souvenir indélébile. Chez ma grand-mère, c’était le petit piano droit blanc qui doit avoir au moins 70 ans aujourd’hui. Après le dîner, nous allions tous dans le salon pour chanter autour du piano, surtout des comédies musicales. C’est là que j’ai appris Carousel, Hello Dolly, Le fantôme de l’Opéra, La Mélodie du bonheur et beaucoup, beaucoup d’autres avant même de pouvoir lire. Chez ma mère, c’était, et c’est encore, le piano droit Baldwin qui nous a été livré en 1990. Ma soeur Suzanne avait sept ans, j’en avais quatre, mon frère Robbie n’était qu’un bébé et Christina n’allait naître que trois ans plus tard.

C’est difficile de croire que l’époque avant B. (avant Baldwin) a existé. Et pourtant, je me souviens de la nuit où il est arrivé, de l’excitation de ma mère. “Maintenant les filles”, a-t-elle dit. Elle était couchée entre Suzanne et moi, nos lits rapprochés l’un contre l’autre au milieu de la pièce. Nous les rapprochions parfois pour jouer avant de nous coucher. Et parfois, nous les rapprochions pour les grandes occasions. L’arrivée imminente du piano représentait une grande occasion. “La seule règle avec le piano, c’est qu’il faut se laver les mains avant d’en jouer”, a-t-elle ajouté. Ses grands yeux bruns pétillaient, son visage enfantin était rayonnant. Elle avait 37 ans mais elle semblait plus jeune que nombre de femmes de 25 ans et on pourrait encore dire la même chose d’elle aujourd’hui, à 65 ans. Mais ce n’est pas seulement son apparence physique qui lui donne cet air éternellement enfantin, c’est sa personnalité. Sa curiosité pour les gens, sa vivacité, son enthousiasme pour tout.

Elle jouait parfois des mélodies douces pour nous aider à nous endormir quand nous étions couchées à l’étage. Et parfois, quand nous chantions autour du piano, elle en faisait un jeu. “Fermez les yeux”, disait-elle. Et nous comprenions qu’elle allait choisir une chanson, jouer les premières notes et voir si nous pouvions deviner ce que c’était.

Suzanne a commencé à prendre des cours en 1990, à sept ans. Ma mère a trouvé notre prof de piano, Mme Edwards, par l’intermédiaire d’une famille que nous connaissions à l’école. C’est drôle de voir comment ça s’est passé : cette famille a déménagé peu après mais Mme Edwards a pris une place très importante dans nos vies. Au début, elle venait chez nous une fois par semaine pour 30 minutes, puis pour une heure quand j’ai eu sept ans et que j’ai commencé à prendre des cours, puis 1h30 avec Robbie et enfin pour 2h quand Christina a commencé aussi. Quand Suzanne est partie à la fac, notre grand-mère a pris sa place.

Mme Edwards avait un parfum frais, un mélange qui sentait un peu le papier et la poudre – subtil, attirant, apaisant. Elle remontait la moitié de sa chevelure brune avec une barrette et elle avait un teint naturel, sans maquillage. Elle portait des vêtements classiques, des pulls à col rond, des pantalons kaki moulants et des mocassins. Elle était gentille. Elle invitait à un respect tranquille mais, par rapport à de nombreux adultes, elle n’était pas aussi intimidante pour des enfants timides. Si vous n’aviez pas travaillé de la semaine, un simple regard de sa part suffisait à vous faire vous sentir honteux. Sa manière de jouer du piano était un prolongement de sa personnalité : fluide, facile, naturelle, magnifique. J’étais fascinée par la manière dont ses doigts s’agitaient sans peine sur les touches quand elle nous présentait un nouveau morceau. Elle avait environ l’âge de ma mère quand elle a commencé à nous donner des cours. Et, comme ma mère, elle semblait sans âge – elle a gardé la même apparence pendant les 22 ans où elle nous a donné des cours.

Quand j’étais enfant, j’aimais Mme Edwards parce qu’elle était gentille et avait la voix douce. Elle était adulte et je la considérais comme une source d’inspiration, une manière différente d’être. Elle semblait réussir tranquillement, loin de la pression des attentes sociales. Elle avait suivi sa passion et vivait de ce qu’elle aimait. Elle était douée mais se moquait d’elle-même et était humble, elle faisait ce qu’elle voulait : elle n’était pas mariée quand nous l’avons rencontrée et ne s’est mariée que quand elle a trouvé la bonne personne, des années plus tard, vers la fin de sa quarantaine ou peut-être même au début de la cinquantaine. Il y a quelques années, elle m’a dit : “Tu peux attendre. Il n’y a pas de bon moment ou de bon âge. Ce n’est pas facile donc il vaut mieux s’assurer que c’est la bonne personne.” Maintenant que j’ai 33 ans, j’y repense souvent.

Je repense souvent à ces leçons de piano comme une époque de confort et de protection. Je crois que mes souvenirs ont voilé cette période dans ma tête parce que, en réalité, sous la surface, ça n’a pas toujours été le cas. Mais grâce aux rituels que nous avions à la maison, aux leçons de piano et à l’ambiance fantaisiste instaurée par ma mère, j’avais cette impression. Quelle que soit la réalité, elle arrivait à installer un monde libre, heureux, plein de piano, de chansons, de jeux et d’histoires.

J’aime isoler ce souvenir : jouer au piano après l’école, en automne, avec de la soupe de poulet sur le feu, mes frères et soeurs en train de faire leurs devoirs et de jouer. Quand je joue une chanson de la BO L’Oeuvre de Dieu, la Part du Diable – un classique mélancolique et délicat – ça m’y fait penser.

Quand je suis partie à la fac, j’ai arrêté de jouer du piano et de chanter. J’étais occupée, je testais différentes manières d’être, je pensais que j’arrivais enfin à me trouver mais je me perdais de plus en plus. Je travaillais dans le journal de l’école et je me dirigeais vers une carrière dans le journalisme de mode. Après la fac, j’ai emménagé à New York et je suis devenue éditrice dans un magazine. J’ai continué à ne pas jouer du piano. Les appartements à New York ne sont pas assez grands pour accueillir un piano (en tout cas pas les appartements que je pouvais me payer) et ce n’était pas très grave parce que je ne pouvais pas me payer un piano de toute façon. Et donc, quand l’attrait de la nouveauté de l’industrie de la mode s’est dissipé, quand je me suis retrouvée à un point mort dans mon travail et dans ma vie – à peu près cinq ans plus tard – je me suis rendu compte que quelque chose me manquait, et que c’était le cas depuis un moment. J’étais en train de marcher dans une rue pavée bordée d’arbres dans le West Village en automne. C’est une des choses que je préfère faire à New York, flâner, me balader, choisir un quartier et voir où ça va me mener. (Un autre jeu de mon enfance imaginé par ma mère.) J’ai remarqué une maison de pierres avec une grande fenêtre sur la façade révélant une pièce lumineuse avec un grand piano et un enfant faisant ses gammes – il était clairement en train de répéter, à contre-coeur. J’ai soudainement eu le mal du pays. J’avais envie d’être chez moi, avec un piano – même si les deux choses, ma maison et le piano étaient si intimement liées que je ne pouvais pas les distinguer.

J’ai commencé à passer devant des magasins de piano dès que possible pour me réconforter. J’ai cherché des pianos d’occasion sur Craigslist, juste pour me dire que je pourrais potentiellement en avoir un. Je rêvais de jouer du piano comme je n’en avais jamais rêvé auparavant.

Au fur et à mesure que je me retrouvais, j’ai commencé, doucement, à m’autoriser à me demander si je voulais toujours m’identifier à New York, à mon poste d’éditrice de magazine. Quand j’ai baissé la garde et que je me suis autorisée à être honnête avec moi-même, je me suis rendu compte que ce qui me rendait vraiment heureuse, c’était d’être au milieu des arbres, dans la nature, au grand air, ma maison et le piano. Je voulais écrire mais je n’avais pas forcément besoin d’être éditrice de magazine. Je serais heureuse d’être écrivaine freelance. Ça m’a pris quelques années pour me préparer mais 10 ans après avoir emménagé à New York, je suis rentrée chez moi.

Pour moi, le fait de jouer du piano est une activité sans aucun lien avec le travail, les apparences, les pressions sociales, les copains, les relations ou n’importe quoi d’autre. Quand j’apprends une nouvelle chanson, mon objectif du moment est de réussir à la jouer. Je ne pense à rien d’autre. Et une fois que j’y suis arrivée, la fierté que je ressens me donne confiance en moi. Et à chaque fois, je choisis une chanson un peu plus difficile que la précédente. C’est la joie pure d’apprendre une chose pour soi, seulement pour soi. Sans pression. Le piano a le pouvoir de vous transporter tout de suite, de vous permettre de vivre dans l’instant en laissant derrière vous votre téléphone pour vous laisser envelopper par la musique. Ça vous met tout de suite de meilleure humeur quand vous êtes triste ou stressé. Ça peut vous donner la chair de poule, vous calmer. C’est comme ça que je médite.

Je joue Moon River quand je me sens nostalgique et d’humeur fantaisiste. Je joue des gospels quand je me sens d’humeur expressive. Je joue des chansons Disney quand je veux me sentir libre. Je joue la chanson d’Amélie quand j’ai envie de me sentir comme une héroïne de film. Je joue des chansons de The Secret Garden quand je suis d’humeur solennelle. Et ainsi de suite.

C’est au piano que j’ai joyeusement joué en duo avec un copain, que je suis tombée amoureuse, qu’on m’a brisé le coeur et que j’ai rencontré, parfois, un immense chagrin. Et ce que je préfère, c’est que ça marche dans toutes les circonstances, quelle que soit votre humeur, ou quelle que soit l’étape de votre vie. Quand on sait jouer du piano, on peut s’y asseoir, dès qu’il y a un piano, et en jouer. Et c’est un des plus grands bonheurs de ma vie.

20 comments

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  • Quelle jolie tradition! et quelle jolie histoire!

  • I adore this story. I’m 48 and hope one day my life will calm down enough so I can learn to play piano. I wish I had such a wonderful mother like yours !

  • Jolie histoire !

  • Quels beaux souvenirs d’enfance !

  • What a beautiful story and so well written. Thank you for sharing. Play on!

  • love everything about this article. thank you so much!
    lovely. evocative. satisfying.

  • What a beautiful story. I could read her words all day long…

  • What a beautifully written piece. I adore piano also. As a new (ish) solo Mumma I am committed to saving for a piano for my little boy. I want him to experience the joy and focus that it brings. Thank you for your heartfelt words Elizabeth Swanson.

  • Beautifully written. Thank you for sharing your story!

    I’m 33 too, not married etc. At times asking myself where am I, what are the things that truly comfort me, what is my real source of inspiration and joy onto this life journey. Piano is your way of meditation. Then I’m on a right path of looking for my own and should continue testing and searching :)

  • Mariateresa 31 août 2019, 10:54 / Répondre

    Brava! In manette of music you’ve Just tight to come back at home!!!!

  • Lovely and whimsichal. I would love for this piece to be transformed in an intire novel!

  • This was just what I needed today. Thank you. Lovely. Bisous.

  • Mariateresa 31 août 2019, 11:09 / Répondre

    Brava! I love your option to back home in music’s name and mama !!!!

  • Catherine 31 août 2019, 3:20 / Répondre

    J’ai adoré ce récit et j’aurais aimé le lire avant d’avoir des enfants! Merci pour l’inspiration!

  • Such a beautifully written story. I had it right in front of my eyes.
    Ana
    http://www.saschaandtheboys.co.uk

  • Caroline Dé 3 septembre 2019, 12:59 / Répondre

    Quelle histoire, c’était touchant. J’aimerais en voir plus ici :)

  • This piece brought tears to me eyes. I am also in the midst of returning to my own soul. More accurately, being able to clear the mental clutter that cut me off from my own consciousness and the things that brought me unbridled joy. It’s really much simpler than you’d think to reconnect with yourself. Thanks for this beautiful writing and for sharing your story.

  • Thank you Elisabeth, you really are a gifted writer, it’s a delight to read you :)
    Thx to the translator as well as it’s beautilly written in French as well!

  • Lovely story, thanks for share, you are a good mother! I can read it all my life …
    https://mwdn.com/different-types-outsourcing-one-choose/

  • Thank you, Elizabeth, for sharing your story. What a wonderful person your mom was. My sisters got the piano lessons, not me. I am the youngest of 6. I do have longings, sometimes, to chase away the melancholie ….by playing the piano. Unfortunately, I am tone deft. Maybe one day, when I retire, I will tackle that …just playing for my self-no pressure.

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