Rachel Laven’s Feminist Folk
5 years ago by
Cet été, j’ai vu un concert de Rachel Laven, dans une petite salle du Colorado. Je n’avais jamais entendu son nom avant mais j’étais heureuse d’aller écouter un concert. Je ne savais absolument pas que j’allais à un des concerts les plus incroyables que j’aie écouté depuis longtemps.
Originaire du Texas, la musique de Rachel est un mélange de bluegrass / de folk / de country féministe, un genre qu’elle a nommé, de manière très heureuse, “TexGrass” et qu’elle illumine.
Dès qu’elle est apparue sur scène, j’ai été saisie par sa présence scénique – sa capacité à créer une vraie intimité tout en déployant une énergie intense en permanence, sa voix ET ses textes – vulnérable et magnifiquement attentionnée.
Je me suis tout de suite dit que je voulais en savoir plus à son sujet. Elle est en train de s’installer en Grande-Bretagne, de lancer un nouveau single (“Heels”, elle en parle plus ci-dessous et vous pouvez le trouver ici !) et de travailler sur son nouvel album. J’étais heureuse de trouver le temps pour cet échange transatlantique et pour parler de son travail !
Où as-tu trouvé l’inspiration pour écrire tes chansons ? Et qui (ou que) sont tes plus grandes influences ?
Ça a changé avec le temps. Quand j’ai commencé à écrire des chansons, à 10 ans, j’étais très inspirée par les films et l’actualité. J’ai écrit des chansons fantastiques sur des cowboys et des pirates, des chansons politiques sur la guerre en Irak et ses effets sur mes amis et moi. J’ai commencé la guitare au début de l’année 2002 et une de mes meilleures amies de l’époque avait un père dans l’armée qui a été envoyé plusieurs fois au Moyen-Orient. Ça nous faisait peur et j’ai écrit plein de chansons contre la guerre, des appels à la paix. Aujourd’hui, je suis principalement inspirée par d’autres chansons, ma propre expérience et les gens.
J’écoute plein de paroliers différents et j’adore essayer d’écrire des chansons dans leur style pour détruire mes propres barrières. Des chanteuses comme Anaïs Mitchell et Terri Hendrix ne semblent pas prêter attention aux formes traditionnelles de la chanson, ce n’est pas grave si une chanson n’a pas de refrain ou de transition. Des paroliers comme John Prine, Jason Isbell ou Guy Clark écrivent les plus beaux des poèmes avec les mots les plus simples. Les chansons de Justin Farren évoquent de longues réflexions, il n’y a quasiment pas de répétition et chaque pensée est un sentiment simple et pur. Joey Landreth et Jaimee Harris ont un sens incroyable de l’association du rythme et des paroles. Je suis intarissable sur les chanteurs que j’adore.
Et pour en revenir au sujet, je suis aussi très inspirée par le mouvement des femmes dans la musique – avec des super groupes comme The Highwomen qui rassemblent des femmes à différentes étapes de leurs carrières pour qu’elles se soutiennent mutuellement. Mes écrits insistent sur la puissance des femmes, avec des chansons comme “Heels”, qui parle évidemment de la difficulté d’être une femme dans l’industrie musicale ou “Countin’ Pennies”, qui évoque une femme « spittin’ in [her boss’] coffee to even the score » [“qui crache dans le café de son boss pour se venger”] après avoir été injustement virée, ou des chansons sur les incroyables matriarches de ma famille comme “Ramblin’ Soul” ou « Love & Luccheses ». Il est largement temps d’avoir des chansons sur des femmes de pouvoir.
Pendant ton concert, tu as joué tes chansons »Love & Luccheses », « Heels », ainsi que la chanson de Guy Clark « Stuff That Works ». J’ai remarqué que ces chansons utilisent toutes des objets physiques pour évoquer des souvenirs / un passé et raconter une histoire. Est-ce une chose à laquelle tu as pensé, dans ta vie personnelle comme en écrivant des chansons ? C’est une approche très intéressante de l’art de la narration…
Je suis convaincue que c’est un de nos meilleurs outils pour accéder à nos souvenirs. C’est très humain. Nous prenons des photos, nous achetons des choses pour préserver nos souvenirs. Quand quelqu’un meurt, une des tâches les plus difficiles à faire consiste à faire le tri dans ses affaires parce que des souvenirs sont attachés à chaque petite chose. Là où elle a été achetée, là où elle a été trouvée, si elle a été portée, l’odeur, la texture, la signification que ça avait pour eux, tous les éléments d’une bonne histoire.
Lors d’une de nos dernières rencontres, ma grand-mère m’a offert une paire de bottes. Elle m’a même offert deux paires de bottes et une bague avec une grosse améthyste. Je n’ai jamais entendu l’histoire de sa bague mais elle était si fière des Lucchese. C’était un symbole de son succès et je crois, que les bottes soient ou non à ma taille, qu’elle tenait à ce que j’ai quelque chose qui ait une telle importance à ses yeux. Le fait que les bottes soient à ma taille n’était que la cerise sur le gâteau. Pour moi, c’est un symbole de force et de persévérance, elles contiennent l’esprit de ma grand-mère. Et quand j’ai voulu écrire une histoire sur l’immigration de ma grand-mère aux États-Unis, les bottes m’ont semblé un symbole parfait et un bon moyen d’accéder à ces souvenirs.
En écrivant “Heels”, Andrew et moi pensions à cette citation sur Ginger Rogers : “Ginger Rogers faisait exactement la même chose que Fred Astaire, mais à reculons et en talons.” Tous les mouvements sont plus difficiles en talons, et ça ressemble à certains challenges auxquels j’ai dû faire face en tant que femme dans l’industrie musicale. Surmonter ce qui est censé vous bloquer donne des forces et c’est un talent de pouvoir montrer avec aisance le résultat de ce combat. Dans cette chanson, nous utilisons les talons comme symbole de ces difficultés, en tant que femme et en tant qu’artiste.
Ton écriture et ta performance sont incroyablement personnelles et sincères. J’ai vu qu’un critique avait écrit que tu étais capable “d’écrire des chansons d’amour qui ne sont pas sentimentales”. D’après toi, qu’est-ce qui te permet d’atteindre ce degré d’honnêteté et de romantisme sans sombrer dans la niaiserie ?
La limite est très fine entre le romantisme et le niais. Je la franchis souvent quand je suis à ma table pour écrire mais je fais beaucoup d’efforts pour ne pas la franchir au-delà de mon bureau. Parfois, on peut s’en sortir avec du niais dans la chanson… Je pense à des chansons comme “Love Me Do” des Beatles. Ce n’est pas une chanson géniale et les paroles sont très niaises mais la performance entraînante en fait un classique. Love love me do/ You know I love you./ I’ll always be true./ So please love me do. Ils ne se prennent jamais trop au sérieux quand ils la chantent, c’est simplement une chanson un peu décalée et contente. Les artistes pop s’en sortent en cachant plein de niaiserie dans des mélodies entraînantes. Je ne m’en plains pas, je suis comme tout le monde, j’adore les bonnes chansons pop. Je fais attention à m’éloigner des clichés quand j’écris sur l’amour et je travaille dur pour trouver une nouvelle approche, une manière de dire “I love you”. Mais je dois quand même le dire, c’est beaucoup plus facile de parler d’amour quand on tombe amoureux. J’ai écrit quasiment tout un album à mon mari au début de notre relation. Je l’aime encore aujourd’hui mais ce n’est pas comme dans les premiers mois, quand je ne pensais qu’à lui.
Et en ce qui concerne mon honnêteté sur scène, cela tient peut-être au fait que j’accepte d’être vulnérable et authentique. J’ai l’impression d’avoir le plus de succès et d’avoir tout donné quand 1) j’ai consacré autant d’énergie à mon spectacle et à mon public que possible et/ou 2) je me suis autorisée à être authentiquement vulnérable sur scène, que ce soit en racontant une histoire difficile ou simplement en étant spirituelle sans avoir peur de me ridiculiser. Et quand j’arrive à faire les deux, c’est le meilleur de Rachel Laven.
Mais c’est aussi une pente glissante. C’est très difficile de faire ça tous les soirs. Je crois qu’il y a plein de chanteurs qui ont de l’énergie mais qui ne peuvent pas vraiment être vulnérables mais ceux qui sont vraiment incroyables peuvent faire les deux. Ce sont eux les artistes qui vous font rire, pleurer, sauter dans tous les sens pendant un spectacle.
Il y a des jours où je préfèrerais être n’importe où plutôt que sur scène à chanter mes chansons. Quand je me sens malade, déprimée, fatiguée, etc. Je peux laisser tout ça derrière moi. C’est une des premières chose qu’on m’a enseignée dans mes cours de théâtre et c’est une des leçons les plus importantes que j’ai retenues de mon expérience du théâtre.
Parle-moi des expériences que tu as eues en tant que femme dans le milieu de la musique country / bluegrass qui t’ont inspirée les paroles de « Heels« .
Il suffit de regarder la programmation de n’importe quel festival, de n’importe quel classement de radio un peu partout, mais tout particulièrement dans les festivals de musique country ou dans les classements de radio au Texas. En général, on voit 1 à 3 femmes dans une programmation de plus de 20 artistes et je peux vous dire qui elles sont parce qu’il n’y a que cinq artistes féminines qui réussissent vraiment au Texas. Les femmes sont vraiment sous-représentées et invisibilisées dans le monde de la country, et ça va de Carrie Underwood et Miranda Lambert, les meilleures de l’industrie, aux amatrices qui sont à peine en train de commencer !
En écrivant “Heels”, Andrew et moi voulions écrire une chanson qui mette en valeur les difficultés quotidiennes liées au fait d’être une femme dans ce secteur. Ce sont de petites choses qui finissent par avoir de grandes conséquences. Le monde de la musique est suffisamment difficile sans y ajouter les conneries et le manque de respect liés simplement au fait d’avoir un vagin. La chanson parle de vérités, sans exagération et sans filtre. Pendant des chansons entières, ma guitare a été réglée à un son bas et uniforme jusqu’à ce qu’un membre masculin de mon groupe demande à mieux entendre ma guitare. On m’a donné des chèques écrits au nom de membres masculins de MON groupe plutôt qu’au mien. On m’a fait toutes les approches de drague du répertoire, sur scène et hors scène. Nous sommes censées sourire, porter du maquillage, nous coiffer, porter des jupes ou des robes, avoir une jolie voix et même flirter sur scène. Et ça peut être pire, comme le récent mouvement MeToo nous l’a montré.
Je me considère comme chanceuse parce que j’ai grandi en jouant de la musique avant d’être assez vieille pour être vue comme sexy, avec mon frère de 1m80, Niko. Personne n’était assez bête pour m’embêter quand il était dans les parages. Et quand je me suis lancée en solo, je me suis accrochée à de puissants mentors en qui je pouvais avoir confiance : Susan Gibson, Ken Gaines, Terri Hendrix, The Flyin’ A’s, The Rosellys, Sean Sankey, et Claude « Butch » Morgan, un des premiers à m’avoir prise sous son aile. Ils m’ont appris à être humble mais en refusant d’être humiliée, à me défendre, à être une bonne musicienne, pas seulement une jolie voix, et à être moi-même sur scène et dans la vie. Et si je peux faire quelque chose pour eux, c’est suivre leur exemple et je crois que “Heels” est un bon exemple de ce qu’ils m’ont appris et de ce que j’espère partager avec les futures artistes féminines.
Comment est-ce que tu te vois adapter ton style “TexGrass” / américaine à ton nouveau mode de vie européen, et à ton nouveau public ?
Les Européens apprécient beaucoup la musique country et américaine. Tout ce que j’ai à faire, c’est ralentir le rythme quand je parle pour que les gens puissent comprendre mon accent. Le côté “Texas” ressort plus quand je raconte des histoires sur scène. C’est un peu intimidant de prendre ma carrière musicale, qui marche bien aux États-Unis, et de la déplacer en Grande-Bretagne où je vais repartir de zéro. J’ai fait des tournées en Grande-Bretagne et j’ai eu un bon accueil, mais pas au point de la reconnaissance et de ma réussite au Texas. C’est difficile de savoir où se situer ; on ne veut pas se vendre pour moins que ce qu’on vaut mais il ne faut pas non plus se prendre trop au sérieux. Je travaille à atteindre cet équilibre.
Qu’est-ce qui t’attend maintenant ?
“Heels” va sortir en single et je vais me tourner vers mon prochain projet, une chanson ou un album acoustique (selon combien de temps ça va durer) intitulé The Leeds Session. Je vais enregistrer certaines chansons – des vieilles et des récentes – quand je serai à Leeds, juste ma guitare et moi. Peut-être un instrument ici où là mais ce sera beaucoup plus simple que mon dernier album. Comme je repars à zéro en Grande-Bretagne, je veux me tourner vers l’introspection pour un temps, en écrivant et en enregistrant seule.
J’ai aussi lancé un compte Patreon où les gens peuvent s’abonner pour un dollar ou plus pour recevoir des updates, des nouvelles chansons, des vidéos, du merchandising et des nouvelles exclusives de mon processus créatif. Vous pouvez en apprendre plus ici ! C’est la plate-forme parfaite pour me permettre de rester en lien avec mes fans chez moi, et pour m’apporter un peu de revenus pendant cette période créative. Je vais tourner en Europe mais je ne vais pas retourner avant un moment aux États-Unis.
For more from Rachel, follow her on Instagram here and check out her Spotify here!
Photos in order by: John Morgan, Kathryn Howard, and Todd Ryan