Atelier Doré

Au cas où vous n’auriez pas encore entendu, nous avons donné un coup de jeune à notre podcast et nous avons maintenant des épisodes Carte Blanche, et oui, nous avons Carte Blanche pour faire ce que nous voulons ! Vous pouvez écouter le premier épisode ici. Dans cet épisode, Garance lit l’essai ci-dessous envoyé par une de nos lectrice. Nous l’avons trouvé trop émouvant, complexe et inspirant pour ne pas le poster sur notre site. MAIS, nous n’allons pas toujours poster ces essais sur le site donc n’oubliez pas de vous abonner à Pardon My French, puisque nous ne l’annoncerons plus systématiquement sur le site avec un article et nous ne voudrions pas que vous manquiez un épisode ! En attendant, quelques mots d’un autre lecteur…

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Je pense sans doute à lui une fois par jour. Quand je fais mon café, quand je n’arrive pas à dormir, quand quelque chose me fait penser à lui ou tout simplement quand j’ai besoin d’être distraite de la monotonie de la vie. Je pense ce qu’il pourrait être en train de faire, ce qu’il pourrait porter. Avec qui est-il ? Est-il heureux en cet instant ? Je pense à nous. Ces nuits, ces matinées où j’avais l’impression que nous étions seuls au monde.

Je pense à ce qui se passera la prochaine fois que je le verrai. Quand est-ce que ça sera ? Combien de temps resterons-nous côte à côte dans un bar, à raconter les derniers mois de nos vies, un peu comme une bande-annonce pour l’autre ? A poser des questions sur nos familles, nos carrières, à essayer d’évaluer le bonheur de l’autre jusqu’à ce que l’un d’entre nous franchisse la barrière. Placer une main sur un genou, une question silencieuse à laquelle un autre contact physique répond vite.

Nous nous connaissons depuis huit ans et menons cette danse depuis cinq ans. Je l’ai vu commencer et conclure deux relations sérieuses et avoir d’innombrables rendez-vous amoureux. Je suis moi-même toujours dans la même relation. Nous n’abordons jamais ce sujet, sommes-nous censés être ensemble ? Au début, je pensais que nous n’en parlions pas parce que la réponse était oui, maintenant je suis quasiment sûre que c’est parce que la réponse est non.

Et si nous savions que nous ne sommes pas censés être ensemble, est-ce que nous continuerions comme ça ?

Je ne sais pas. Et est-ce que rêver de plus ne fait pas partie intégrante d’une liaison ?

J’ai beaucoup rêvé de nous avant d’aboutir à cette conclusion, je ne pense pas que cela marcherait. A la place, nous gravitons l’un vers l’autre quand nous sommes dans la même ville. A nous donner mutuellement ce dont nous avons besoin, pour une nuit.

Je l’ai vu obtenir toutes les femmes qu’il a jamais désirées. Il les a poursuivies pendant une journée ou un an, mais il les a toujours eues. Il est charmant, intelligent, et sa capacité à dire directement ce qu’il veut rend les femmes faibles. Et il écoute. Je veux dire qu’il écoute vraiment. Il va se souvenir d’une chose chose qu’on lui a dite deux ans avant. Je l’ai vu faire ça à d’autres femmes, j’ai lu leur réaction sur leur visage, elles se sentaient écoutées et surtout, désirées. Il fait toujours la cour à la femme qu’il désire.
Mais ensuite, après leur avoir fait la cour, il se désintéresse. Seule la chasse a du prix à ses yeux. Et il a perfectionné son art de la chasse.

Donc la seule raison pour laquelle il m’écrit quand il vient dans ma ville, c’est qu’il me chasse encore.

De mon côté, c’est le fait de me sentir désirée qui me séduit. Je sais, je sais, je n’en suis pas fière. Mais c’est ce qui me séduit. J’ai essayé de me changer. J’ai même suivi une thérapie à ce sujet, où j’ai appris que c’était dû (quelle surprise) à un père absent physiquement et émotionnellement. Donc je recherche le contraire chez les hommes. Je cherche ceux qui prendront des risques pour moi. Ceux qui sont prêts à avoir une liaison, pour moi.

Le flou dans lequel nous sommes nous arrange tous les deux. Cela convient à son désir de pouvoir courir après quelque chose qu’il ne peut pas avoir, et cela convient à mon désir d’être pourchassée. C’est un sentiment puissant – ce sentiment d’être désirée. Cela donne le sentiment d’être invincible.

Même si nous ne discutons pas de la permanence de notre situation, nous discutons, beaucoup, de l’ambiguïté morale liée au fait d’avoir une liaison. Nous savons que ce mensonge est mal. Nous savons combien de personnes nous pourrions blesser si la vérité était connue. Nous ne le faisons pas à cause de nos partenaires, nous le faisons pour nous-mêmes, mais ce n’est pas mieux et nous le savons. Quoi que vous puissiez penser de nous, nos propres jugements ont déjà été pires.

Parfois je me dis que c’est grâce à cette liaison que je suis encore dans ma longue relation. Cette liaison m’a soutenue, épaulée, a fait de moi une meilleure personne pour mon partenaire. J’ai des doutes sur sa fidélité à lui aussi. Si j’y pense trop, évidemment, cela me rend triste. Mais si je me dis que ce n’est qu’un recoin de son univers, comme je pense que tout le monde a le droit d’avoir quelque chose qui n’appartient qu’à lui, alors je l’aime encore plus. Le fait qu’il ait ses propres secrets, une part de lui que je ne connaîtrai jamais. Cela me rappelle qu’il ne m’appartient pas, que je ne peux que l’aimer. Et si je choisis de l’aimer, alors je dois tout aimer de lui.

Mais ce n’est peut-être que moi, essayant de justifier mes propres actions pour ne pas être dévorée par ma propre culpabilité.

Aujourd’hui, dans la majeure partie de mes rêves éveillés, je me demande si notre liaison va s’étioler ou si la culpabilité nous dévorera tellement que nous y mettrons fin. Ou si nous continuerons à nous voir dans 15 ans, quand nous aurons des enfants, serons mariés, aurons d’autres carrières, d’autres villes, est-ce que l’un d’entre nous tendra la main vers le genou de l’autre ?

Nous ne nous sommes jamais dit “je t’aime”. Mais quand je suis avec lui, ce sont les rares nuits de mon existence où je suis pleinement absorbée dans le présent parce que sa fugacité me semble tangible, comme si le sable me coulait entre les doigts.

Ces nuits où on ne peut même pas préparer des oeufs le lendemain matin sans être distrait, quand le corps frémit encore, retentit de l’énergie d’être vivant.

Il a donné tant de sens à ma vie. Me dire que quelque chose pourrait lui arriver sans que personne ne sache ce qu’il signifie pour moi… j’en ai le coeur brisé.