Il m\u2019en aura fallu du temps, pour \u00eatre une adulte.<\/p>\n
Je me souviens qu\u2019avant, j\u2019\u00e9tais incapable d\u2019imaginer ce que serait une vie apr\u00e8s quarante ans. Il y avait cette esp\u00e8ce de mur de fum\u00e9e imp\u00e9n\u00e9trable, et je n\u2019arrivais pas \u00e0 voir derri\u00e8re.<\/p>\n
L\u2019inconnu, \u00e7a peut \u00eatre excitant, mais \u00e7a peut aussi faire peur.<\/p>\n
On nous pr\u00e9sente l\u2019avanc\u00e9e en \u00e2ge<\/a> comme quelque chose de si terrible, dans nos pays. On a tellement peur de \u201crater nos vies\u201d. On a tellement peur de ne pas se reconna\u00eetre en cette personne avec des rides au coin des yeux. On a tellement peur de perdre notre valeur aux yeux de la soci\u00e9t\u00e9 – et, pour \u00eatre tout \u00e0 fait honn\u00eate, ces peurs sont justifi\u00e9es.<\/p>\n Comme j\u2019avais peur, je voulais tout pr\u00e9parer comme on se pr\u00e9pare pour un long voyage dont on ne reviendra jamais. Je voulais arriver \u00e0 mes quarante ans avec un bagage organis\u00e9 \u00e0 la perfection. Une maison, un mari, un enfant, un travail, un chien.<\/p>\n Un ticket premi\u00e8re classe, pour adoucir le go\u00fbt amer, quoi.<\/p>\n Et comme j\u2019avais essay\u00e9 de construire tout cela dans la peur, je vivais dans l\u2019\u00e9nergie de la peur. La peur – \u00e0 l\u2019oppos\u00e9 de l\u2019amour. La peur qui d\u00e9truit tout.<\/p>\n Et quand tout s\u2019est \u00e9croul\u00e9, et que je suis devenue l\u2019incarnation vivante de mes peurs, seule et sans enfants apr\u00e8s quarante ans, je me suis rendu compte qu\u2019enfin, en larmes devant cette vie d\u00e9molie, j\u2019allais pouvoir commencer \u00e0 grandir<\/a>.<\/p>\n Grandir. Accepter. Accueillir. Questionner. Et enfin, laisser la peur filer.<\/p>\n Il n\u2019y a qu\u2019en se confrontant \u00e0 nos peurs qu\u2019on les d\u00e9passe. Ma peur \u00e9tait majestueuse. J\u2019avais v\u00e9cu avec elle, coll\u00e9e \u00e0 moi, toute ma vie… Et jamais je ne l\u2019avais reconnue.<\/p>\n J\u2019ai beaucoup \u00e9tudi\u00e9, pourtant. Depuis mon plus jeune \u00e2ge, j\u2019ai cherch\u00e9 des r\u00e9ponses \u00e0 mes questions. J\u2019ai toujours ressenti de l\u2019inconfort \u00e0 suivre les sch\u00e9mas \u00e9tablis mais \u00e9tant douce et ob\u00e9issante \u00e0 la fois, cette dichotomie me faisait souffrir.<\/p>\n Je souffrais de ne pas me sentir \u00e0 ma place, constamment. J\u2019ai entendu dire que la d\u00e9pression est l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 de la porte de la spiritualit\u00e9<\/a>, et \u00e7a a \u00e9t\u00e9 le cas pour moi. \u00c7a ne veut pas dire que cela s\u2019applique \u00e0 chacun, et \u00e7a ne veut pas dire que j\u2019ai toutes les r\u00e9ponses.<\/p>\n Pour moi, avant tout, la d\u00e9pression a \u00e9t\u00e9 le d\u00e9clencheur d\u2019une vrai qu\u00eate de sant\u00e9, physique et mentale – car notre corps et notre esprit sont une seule et m\u00eame chose.<\/p>\n Mais \u00e7a a aussi \u00e9t\u00e9 l\u2019autorisation dont j\u2019avais besoin pour accepter qu\u2019il \u00e9tait temps de m\u2019occuper de moi. Que j\u2019avais besoin de me soigner, de m\u2019\u00e9couter, de cr\u00e9er des rituels, et de trouver des outils.<\/p>\n C\u2019est \u00e7a, grandir. C\u2019est se rendre enfin compte qu\u2019on n\u2019est pas surhumain. Que la vie, ce n\u2019est pas pr\u00e9parer un bagage bourr\u00e9 d\u2019obligations et de buts imaginaires pour un voyage en terre inconnue au bout de la nuit.<\/p>\n
\nTellement que j\u2019avais fini par l\u2019accepter. Je pensais que c\u2019\u00e9tait \u00e7a, vivre. Essayer de coller aux id\u00e9es de bonheur toutes faites. Il a fallu que \u00e7a culmine en ces quelques ann\u00e9es de d\u00e9sespoir, \u00e0 sourire alors que je pleurais \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur – jusqu\u2019\u00e0 ne plus avoir aucune id\u00e9e de qui j\u2019\u00e9tais… Et que \u00e7a finisse en d\u00e9pression<\/a>.<\/p>\n
\nEt qu’on est notre propre parent, qu\u2019il faut en priorit\u00e9 s\u2019occuper de nous, avant de se lancer dans la course \u00e0 la vie. Et grandir, c\u2019est comprendre enfin que la joie, ce n\u2019est pas demain.<\/p>\n