Au centre de la chambre de mes enfants, il y a une lampe champignon que j\u2019ai achet\u00e9e en d\u00e9cembre dans la boutique de jouets Acorn, sur Atlantic Avenue. La lampe est rouge mais quand on l\u2019allume la nuit, des points vert p\u00e2le forment des taches sur le plafond de River et Oak. Le motif commence en V puis s\u2019\u00e9tire et s\u2019\u00e9tend sur le plafond ancien de notre appartement<\/a> de Clinton Hill, Brooklyn. Je crois que maintenant, je connais le nombre exact de taches au plafond. Il y en a une de plus qui se refl\u00e8te dans le miroir et je n\u2019ai jamais le courage de chercher o\u00f9 elle se trouve. Je suis une personne \u00e0 la fois exalt\u00e9e et compl\u00e8tement terrifi\u00e9e par l\u2019inconnu.<\/p>\n

Chaque soir, quand je borde et embrasse River et Oak pour qu\u2019ils s\u2019endorment, quand leur sommeil devient plus lourd et que leurs corps s\u2019abandonnent sur moi, m\u2019enveloppant de leur petite chaleur, je ressens une sensation nouvelle. La solitude<\/a>. Un sentiment qui m\u2019est tellement \u00e9tranger que j\u2019ai d\u2019abord pens\u00e9 que je faisais une petite d\u00e9pression<\/a>. Mais non. Si je devais \u00e9tablir une comparaison, le seul moment o\u00f9 j\u2019ai ressenti quelque chose de similaire, c\u2019\u00e9tait pendant cette \u00e9trange, courte et puissante pause dans le temps quand j\u2019ai ramen\u00e9 River \u00e0 la maison en quittant l\u2019h\u00f4pital \u00e0 l\u2019hiver 2011. Nous deux, seuls dans cet appartement en enfilade au troisi\u00e8me \u00e9tage. Personne \u00e0 qui vraiment parler. En avoir tellement besoin. Mais l\u00e0, contrairement \u00e0 cette \u00e9poque, je sais qu\u2019aucun b\u00e9b\u00e9 ne va se r\u00e9veiller dans deux petites heures pour se nourrir \u00e0 mon sein, prouvant que cette sensation \u00e9trange de solitude, \u00e0 l\u2019\u00e9poque, \u00e9tait souvent associ\u00e9e \u00e0 une n\u00e9cessit\u00e9 indescriptible. Celle du lait perlant \u00e0 mon t\u00e9ton. River a maintenant sept ans et demi et Oak a quatre ans, donc ma solitude du soir ne signifie rien d\u2019autre qu\u2019elle-m\u00eame. Cela peut ne pas sembler important pour beaucoup de gens. Mais j\u2019ai 28 ans, j\u2019ai rencontr\u00e9 mon ex-partenaire \u00e0 19 ans, j\u2019ai eu un b\u00e9b\u00e9 \u00e0 21 ans et j\u2019ai pass\u00e9 mon enfance avec trois fr\u00e8res et une soeur. Je n\u2019ai jamais \u00e9t\u00e9 vraiment seule. Jusqu\u2019\u00e0 maintenant.<\/p>\n

Alors que je regarde leur plafond pour compter et recompter les taches, et que je tombe dans une sorte de m\u00e9ditation o\u00f9 j\u2019\u00e9coute les bruits de la ville \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur : de lourdes portes en bois, les alarmes de voiture, des klaxons, l\u2019alarme incendie dans un appartement \u00e0 proximit\u00e9, je me rends compte que mon sentiment de solitude correspond peut-\u00eatre juste au fait d\u2019\u00eatre pr\u00e9sente avec mon corps et mon esprit. Pr\u00e9sente, avec pour seules distractions celles que je m\u2019autorise. Pr\u00e9sente, d\u2019une fa\u00e7on qui n\u2019implique pas de se presser, de courir, de faire des c\u00e2lins ou de tenir la main de quelqu\u2019un. Un partenaire. Un enfant. Je peux me lib\u00e9rer du poids des membres de mes enfants. Et je finis par le faire. \u00catre seule pour la premi\u00e8re fois apr\u00e8s presque une d\u00e9cennie fait peur. C\u2019est inconfortable. C\u2019est une bonne chose.<\/p>\n

J\u2019ai appris plusieurs choses sur moi \u00e0 cette \u00e9poque. Je peux repousser une commande Amazon jusqu\u2019\u00e0 ce que je ne le supporte plus. Je vais trouver un moyen pour nettoyer le sol mais pas pour \u00e9crire un essai. Je peux planifier un voyage entier mais, quand je suis seule, \u00e9crire un simple mail me semble trop compliqu\u00e9. Si je pense trop \u00e0 chaque \u00e9v\u00e9nement de l\u2019ann\u00e9e et demie qui vient de s\u2019\u00e9couler, les sentiments se nouent dans ma poitrine, les larmes se d\u00e9sint\u00e8grent dans mes glandes lacrymales. Ce moment de solitude permet \u00e0 mon corps et \u00e0 mon cerveau de se recharger avec les choses les plus romantiques, douloureuses et excentriques qui soient. C\u2019est le moment o\u00f9 je prends conscience des joies de la th\u00e9rapie<\/a>, qui permet aux mots de sortir et de s\u2019\u00e9chapper sur un canap\u00e9 en cuir. La vanne des larmes ouverte. Et, bien que ce soit \u00e9trange, j\u2019ai d\u00e9couvert que le corps se sent de moins en moins mal au fur et \u00e0 mesure que je reste assise avec ce sentiment de solitude. 28 ans et seule. Sans l\u2019\u00eatre vraiment. Mais la plupart du temps\/quand m\u00eame.<\/p>\n

La solitude n\u2019est pas un manque, je pense que c\u2019est important de le dire. Mon sentiment de solitude est associ\u00e9 \u00e0 une reconnaissance de la pl\u00e9nitude dans ma vie. On peut avoir de nombreux amis, un amant, du travail, un copain, ou non. Les femmes ont peur d\u2019avoir 40 ou 50 ans et d\u2019\u00eatre seules. \u00catre seule \u00e0 60 est plus f\u00eat\u00e9. Je ne sais pas quel effet cela peut faire. Je ne sais pas si je le saurais un jour. Je n\u2019ai pas peur. Je suis mon chemin. J\u2019ai fait ces choix. Jet\u00e9 les d\u00e9s. \u00c7a fait peur mais c\u2019est aussi lib\u00e9rateur. J\u2019ai, je pense, rencontr\u00e9 une version de moi que je n\u2019aurais pas rencontr\u00e9e autrement. Une version qui, certes, compte les taches vert p\u00e2le sur le plafond de la chambre de ses enfants un mercredi soir, alors que la clim souffle sur ses l\u00e8vres au rouge effac\u00e9. Mais cette chance de sentir l\u2019intimit\u00e9 et le manque, leurs bienfaits, en priv\u00e9, hors du royaume des r\u00e9seaux sociaux, o\u00f9 je me construis une r\u00e9putation, est aussi la bienvenue.<\/p>\n

Un jour, j\u2019ai parl\u00e9 de mon ancienne relation et de ce que je faisais, sous la pression de followers qui pensaient juste \u00e0 me harceler \u00e0 propos d\u2019une personne qui n\u2019apparaissait plus dans mon fil d\u2019actu. Je me suis \u00e9croul\u00e9e. La r\u00e9alit\u00e9, c\u2019est que nous voulions tous deux garder nos vies priv\u00e9es apr\u00e8s notre rupture, sans \u00eatre interrompus par des suppositions qui inondaient nos balades l\u2019apr\u00e8s-midi, ou nos sorties la nuit. Mon nombre de followers est petit et terne par rapport \u00e0 d\u2019autres blogueurs, mais, au lendemain d\u2019une transition v\u00e9cue publiquement, il est puissant et aimant, ou dangereux. Donc j\u2019ai craqu\u00e9 et reconnu, d\u2019une nouvelle fa\u00e7on, ce sentiment de solitude. Et si le fait d\u2019\u00eatre seule me permet d\u2019exp\u00e9rimenter une nouvelle vision de la vie priv\u00e9e, de la douleur, de l\u2019\u00e9volution, de diff\u00e9rents niveaux d\u2019intimit\u00e9 et de faire un travail clair avec moi-m\u00eame, alors allons-y. J\u2019aurai 28, 40, 50 ou 60 ans et je serai seule. Cette solitude, puisse-t-elle continuer \u00e0 \u00eatre \u00e9trange et magnifique, un peu comme les 92 points \u00e9parpill\u00e9s sur le plafond de la chambre de mes enfants. Serr\u00e9s dans des coins, surprenants et ridiculeusement paisibles.<\/p>\n