{"id":264899,"date":"2018-02-13T09:15:11","date_gmt":"2018-02-13T14:15:11","guid":{"rendered":"https:\/\/www.wearedore.com\/?p=264899"},"modified":"2018-02-13T09:15:11","modified_gmt":"2018-02-13T14:15:11","slug":"my-dear-period","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/wp.wearedore.com\/fr\/garance\/diary\/my-dear-period\/","title":{"rendered":"My Dear Period"},"content":{"rendered":"
Mes ch\u00e8res r\u00e8gles,<\/p>\n
On n\u2019a jamais vraiment \u00e9t\u00e9 pr\u00e9sent\u00e9es, vous et moi.<\/p>\n
Un jour, vous \u00eates arriv\u00e9es sans pr\u00e9venir. J\u2019\u00e9tais encore une enfant. J\u2019\u00e9tais tellement une enfant, que je n\u2019avais m\u00eame pas remarqu\u00e9 que j\u2019\u00e9tais en train de devenir une femme. Ma poitrine avait commenc\u00e9 \u00e0 s\u2019arrondir, et je n\u2019avais rien vu. Je ne regardais pas mon corps, \u00e0 l\u2019\u00e9poque. Je l\u2019habitais.
\n
\nMais bien s\u00fbr, un homme s\u2019\u00e9tait bien vite charg\u00e9 de me le faire remarquer. Un p\u00eacheur du village o\u00f9 je vivais, avec un air dans le regard que je connaissais pas encore : \u201cAh, \u00e7a pousse ! On devient une femme !\u201d<\/p>\n
Je me souviens encore du choc et de la honte – suivie de tee-shirt oversize forc\u00e9 pour le reste de l\u2019\u00e9t\u00e9. Et encore, \u00e0 ce moment pr\u00e9cis, je n\u2019avais aucune id\u00e9e d\u2019\u00e0 quel point ils allaient s\u2019arrondir, mes seins<\/a>. Et de ce que j\u2019allais devoir endurer dans les ann\u00e9es \u00e0 venir.<\/p>\n Un jour de cet \u00e9t\u00e9-l\u00e0, j\u2019\u00e9tais assise sur les toilettes, dans le restaurant de mes parents, quand soudain j\u2019ai vu du sang au fond de ma culotte. J\u2019ai cru que j\u2019\u00e9tais bless\u00e9e.<\/p>\n J\u2019ai hurl\u00e9. <\/p>\n J\u2019avais entendu parler de vous, bien s\u00fbr, mais vous n\u2019apparteniez pas \u00e0 mon monde. J\u2019ai hurl\u00e9, et mon p\u00e8re est arriv\u00e9, puis ma m\u00e8re. On \u00e9tait en plein milieu du service du midi, le restaurant \u00e9tait plein. On m\u2019a expliqu\u00e9 vite fait ce qui m\u2019arrivait, et puis je suis all\u00e9e me nettoyer.<\/p>\n Et comme \u00e7a, en un instant, mon enfance \u00e9tait finie.<\/p>\n Je me suis vite familiaris\u00e9e \u00e0 votre pr\u00e9sence. J\u2019ai appris les serviettes hygi\u00e9niques et je me souviens du jour o\u00f9, trop frustr\u00e9e de manquer des jours de plage<\/a>, j\u2019ai enfil\u00e9 un tampon pour la premi\u00e8re fois. Une r\u00e9volution. Soudain je redevenais normale. Je pouvais oublier, un peu, ce corps qui d\u00e9cid\u00e9ment prenait de plus en plus de place dans ma vie.<\/p>\n Mes seins avait pris leur forme finale. Ils \u00e9taient pleins et fiers. J\u2019avais \u00e9t\u00e9 la premi\u00e8re de ma classe \u00e0 devenir aussi manifestement femme, et malheureusement, quoi que je fasse pour me cacher, il \u00e9tait bien difficile de le nier. J\u2019ai tout entendu, et j\u2019ai beaucoup, beaucoup souffert.<\/p>\n J\u2019\u00e9tais incapable de communiquer mon \u00e9tat, parce que je ne le comprenais pas. Qui aurait pu me comprendre ? Je me transformais d\u2019enfant pure et riante en ado rebelle, aux v\u00eatements informes et aux r\u00e9actions farouches.<\/p>\n J\u2019ai arr\u00eat\u00e9 la piscine, j\u2019ai achet\u00e9 des gros pulls et j\u2019ai arrondi mes \u00e9paules.<\/p>\n Vous, vous \u00e9tiez toujours l\u00e0, fid\u00e8les, chaque mois. Vous d\u00e9barquiez toujours \u00e0 des moments inattendus, je n\u2019\u00e9tais jamais pr\u00eate \u00e0 vous accueillir car je ne savais pas o\u00f9 j\u2019en \u00e9tais de mon cycle et que j\u2019avais un peu envie de vous oublier, vous, vos inconv\u00e9nients et vos culottes tach\u00e9es.<\/p>\n Avoir ses r\u00e8gles ? La honte, un truc qu\u2019on ne partage qu\u2019avec sa meilleure amie. Cacher, il fallait cacher, cacher, cacher. Cacher, oublier ma f\u00e9minit\u00e9, l\u2019enfouir le plus loin possible.<\/p>\n Chaque mois qui passait, les douleurs devenaient plus violentes. Les crampes l\u00e9g\u00e8res ont commenc\u00e9 \u00e0 faire place \u00e0 des spasmes terrassants. Plus je vous ha\u00efssais, plus vous me faisiez hurler. J\u2019avais tellement mal que je manquais des jours entier d\u2019\u00e9cole. Je rentrais chez moi, pli\u00e9e en deux, en larmes, et je m\u2019\u00e9croulais sur mon lit, bourr\u00e9e d\u2019Efferalgan et enroul\u00e9e autour d\u2019une bouillotte.<\/p>\n Les ann\u00e9es ont pass\u00e9, et je me suis habitu\u00e9e \u00e0 la violence des douleurs, chaque mois. Ces douleurs que tant de femmes connaissent. Ces douleurs tellement fortes que je ne pouvais plus penser. Juste g\u00e9mir et pleurer.<\/p>\n Alors j\u2019ai fini par comprendre et me tenir pr\u00eate, \u00e0 tout moment. J\u2019avais toujours mon kit anti-douleur sur moi. J\u2019avais appris au fil des ann\u00e9es que vous arriveriez toujours aux pires moments. En classe bien s\u00fbr. Lors d\u2019un examen, ou un dimanche o\u00f9 toutes les pharmacies sont ferm\u00e9es. En bateau. En voyage. Je me souviens d\u2019une nuit, en voyage en Syrie, de douleurs tellement fortes qu\u2019un m\u00e9decin est venu et m\u2019a administr\u00e9 une piq\u00fbre de morphine.<\/p>\n J\u2019avais 17 ans. Entre temps j\u2019avais entrepris de commencer ma vie sexuelle.<\/a> Et la vie a continu\u00e9. <\/p>\n Un jour, vers 27 ans, j\u2019ai arr\u00eat\u00e9 la pilule. C\u2019\u00e9tait \u00e9trange, une intuition que pour une fois j\u2019avais suivie. Je me prot\u00e9gerais autrement. Je n\u2019aimais pas comment je me sentais quand je prenais la pilule. Je ne me sentais pas \u201cvraie\u201d – et je suis incapable de vous expliquer ce sentiment plus que \u00e7a.<\/p>\n C\u2019est vers mes trente ans que j\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 prendre conscience de mes changements d\u2019humeur. Quelques jours avant votre arriv\u00e9e, ch\u00e8res r\u00e8gles, je devenais invivable.<\/p>\n D\u2019abord, ma poitrine gonflait \u00e0 n\u2019en plus rentrer dans mes soutien-gorge. Mon ventre enflait \u00e0 n\u2019en plus fermer mes jeans. Et quant \u00e0 mon humeur, euh, comment dire. J\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 comprendre ce que \u201cla rage\u201d voulait dire. Rage, pleurs. Ou tristesse immense, pleurs. Ou les deux en m\u00eame temps.<\/p>\n Chaque mois, mon monde implosait. Chaque mois, je quittais mon mec, mon job, ma vie. Je m\u2019\u00e9croulais \u00e9motionnellement. Chaque mois je d\u00e9truisais tout, je saccageais tout. J\u2019avais fini par comprendre que mes humeurs \u00e9taient li\u00e9es \u00e0 mes cycles. Et chaque mois, ch\u00e8res r\u00e8gles, je vous insultais de plus belle. Putain de merde, mes r\u00e8gles. Merde ! Putain, fait chier, merde ! Mes r\u00e8gles.<\/p>\n Quand m\u00eame, j\u2019ai fini par faire attention \u00e0 mes humeurs.<\/p>\n C\u2019est difficile de comprendre \u00e0 quel point nos hormones nous gouvernent. \u00c0 quel point la vie peut paraitre rose un jour et grise et pluvieuse et sans issue le lendemain. J\u2019essayais d\u2019\u00e9touffer ces sentiments. Et de me dire que, pffffff, c\u2019est PMS, c\u2019est tout. La vie sera rose \u00e0 nouveau demain.<\/p>\n Bien s\u00fbr l\u00e0 encore, je le cachais. Seules mes amies proches avaient droit \u00e0 mes complaintes, les pauvres ch\u00e9ries. J\u2019avais assez entendu d\u2019insultes sur \u201cles femmes \u00e9motionnelles\u201d – ce n\u2019\u00e9tait pas moi qui allait me mettre en travers du r\u00eave qu\u2019une femme pourrait \u00eatre un jour pr\u00e9sident des USA, ou de France (\u201cet qui sait, si le jour o\u00f9 la question se pose d\u2019appuyer sur le bouton rouge, cette femme a ses r\u00e8gles, hein?\u201d) NAN, PAS MOI. Je ne dirais rien. Je ferais comme si tout allait bien.<\/p>\n Je me souviens d\u2019une chose. Je me souviens d\u2019une intuition. Je me souviens de penser \u00e0 tous les probl\u00e8mes \u00e9motionnels qui faisaient surface pendant mes r\u00e8gles et d\u2019entendre une petite voix me dire : \u201cIls ne sont pas si faux, ces probl\u00e8mes. Ce mec est quand m\u00eame un petit peu un connard pr\u00e9tentieux et bord\u00e9lique !\u201d et de les avoir discr\u00e8tement fait glisser sous le tapis moelleux de mon existence.<\/p>\n Voil\u00e0. Je n\u2019aspirais qu\u2019\u00e0 la paix, alors que se vivait en moi une guerre acharn\u00e9e.<\/p>\n Et puis un jour j\u2019ai voulu avoir un b\u00e9b\u00e9 et soudain, un peu comme le monde s\u2019est r\u00e9vel\u00e9 \u00e0 Kim Kardashian apr\u00e8s l\u2019avoir trait\u00e9e comme une demeur\u00e9e pendant des ann\u00e9es (cherchez pas, la comparaison m\u2019est venue comme \u00e7a, j\u2019allais pas ne pas vous en faire profiter), j\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 vous trouver int\u00e9ressantes.<\/p>\n J\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 essayer de vous comprendre et m\u00eame, \u00e0 lire des livres sur mon corps de femme. <\/p>\n Oui, j\u2019avais un corps. Dedans, j\u2019avais un corps. Univers entier, magique, rythmique, organique et vibrationnel. J\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 le comprendre par bribes, tout continuant quand m\u00eame (nan mais faut pas d\u00e9conner) \u00e0 le traiter comme un ignorant pas digne d\u2019\u00eatre \u00e9cout\u00e9. Comme une machine \u00e0 mon service.<\/p>\n D\u2019un c\u00f4t\u00e9, je commen\u00e7ais \u00e0 comprendre que peut-\u00eatre, si j\u2019\u00e9tais fatigu\u00e9e pendant mes r\u00e8gles, \u00e7a voulait dire que je devais me reposer. Comme je suis mon propre patron j\u2019avais le choix, et j\u2019ai commenc\u00e9 rester chez moi ces jours-l\u00e0, \u00e0 travailler \u00e0 mon rythme, sur mon canap\u00e9.<\/p>\n
\nJ\u2019avais onze ans. J\u2019\u00e9tais une enfant.<\/p>\n
\nMais jamais je n\u2019aurais pu voir leur beaut\u00e9.
\nApr\u00e8s le p\u00eacheur du village (ah, les p\u00eacheurs du village. J\u2019aurais bien quelques autres histoires \u00e0 raconter sur les p\u00eacheurs du village, mais ce sera pour une autre fois.), les gar\u00e7ons de mon \u00e9cole, tout aussi peu \u00e9duqu\u00e9s, et tout aussi peu respectueux de mon corps que moi-m\u00eame, ne revenaient pas du miracle de ma pubert\u00e9. <\/p>\n
\nJ\u2019avais onze ans, et les hommes me regardaient dans la rue. \u00c0 l\u2019\u00e9cole, les gar\u00e7ons ne me l\u00e2chaient pas. Et ils \u00e9taient rarement gentils. Quand ils l\u2019\u00e9taient c\u2019\u00e9tait pour obtenir des faveurs, ce qui me plongeait dans des oc\u00e9ans de doute. Parce que c\u2019est comme \u00e7a. Un corps de femme ne prot\u00e8ge pas un esprit d\u2019enfant. Je ne savais pas me prot\u00e9ger. Et les mots durs, vulgaires, d\u00e9plac\u00e9s, ces mots-l\u00e0, re\u00e7us si jeune, ne s\u2019effacent jamais. <\/p>\n
\nAvoir des tampons dans son sac ? La honte, cachons-les bien pour que personne ne les voie.
\nAvoir une tache sur son pantalon ? La honte, une vie de moqueries violentes. Heureusement que cela ne m\u2019est pas arriv\u00e9. C\u2019est arriv\u00e9 \u00e0 une fille de ma classe, et elle a fini par changer d\u2019\u00e9cole.<\/p>\n
\nJe me souviens de m\u2019\u00eatre dit : \u201cMais quand m\u00eame, ce n\u2019est pas normal qu\u2019un ph\u00e9nom\u00e8ne naturel me fasse autant souffrir\u2026!\u201d<\/p>\n
\nHeureusement pour moi, si je n\u2019arrivais pas encore \u00e0 aimer et comprendre la femme que j\u2019\u00e9tais, je savais que j\u2019\u00e9tais un \u00eatre humain et que je m\u00e9ritais le respect. J\u2019ai r\u00e9ussi \u00e0 me prot\u00e9ger des pi\u00e8ges qui sont tendus aux jeunes filles adolescentes un peu paum\u00e9es (c\u2019est-\u00e0-dire, toutes les adolescentes) et \u00e0 me faire \u00e0 peu pr\u00e8s respecter, et m\u00eame aimer.<\/p>\n
\nEt chaque fois, je faisais souffrir, et je souffrais profond\u00e9ment. <\/p>\n
\n\u201cAaaah merde, reviens ch\u00e9ri, ahah nan je rigole je ne te quitte pas, tu n\u2019es pas un connard pr\u00e9tentieux et bord\u00e9lique, regarde, c\u2019est juste que j\u2019ai mes r\u00e8gles !!!\u201d<\/p>\n
\n\u00c0 la douleur physique s\u2019\u00e9tait ajout\u00e9e la douleur \u00e9motionnelle – pas le genre de truc g\u00e9rable \u00e0 coup d\u2019Advil et de bouillotte.<\/p>\n
\nPas juste des seins, des jambes<\/a> et des fesses qui n\u2019\u00e9taient jamais assez minces ou assez muscl\u00e9es. <\/p>\n