<\/p>\n
J’avais peut-\u00eatre trouv\u00e9 le job d’\u00e9t\u00e9 parfait, mais j’\u00e9tais une \u00e9tudiante frustr\u00e9e. Je trouvais que je n’apprenais rien que des concepts fumants et inutilisables pour la vraie vie \u00e0 la fac, j’\u00e9tais terroris\u00e9e \u00e0 l’id\u00e9e de faire mes premiers pas dans le monde du travail, qui m’apparaissait comme un grand trou tout noir o\u00f9 j’allais dispara\u00eetre dans un tailleur tout gris.<\/p>\n
<\/p>\n
Je passais donc mon temps \u00e0 s\u00e9cher les cours, \u00e0 faire la f\u00eate pendant des week-ends entiers, \u00e0 me demander ce que j’allais faire dans la vie, \u00e0 faire de la musique et \u00e0 organiser des concerts de rock avec ma meilleure amie, ce que ne consid\u00e9rais pas du tout comme une activit\u00e9 s\u00e9rieuse ou comme un plan de carri\u00e8re.
\nBien s\u00fbr que non, puisque j’y prenais du plaisir.<\/p>\n
Donc je m’amusais bien, mais penser \u00e0 l’avenir me… T\u00e9tanisait. \u00c0 en pleurer.<\/p>\n
Puis un jour, il a fallu que je trouve un stage de fin d’ann\u00e9e. J’\u00e9tudiais \u00e0 cette \u00e9poque la communication, donc je pouvais me pr\u00e9senter un peu partout : on a toujours besoin de communiquer. Comme j’aimais bien l’art contemporain j’ai pris rendez-vous au MAC de ma ville.
\nJe me suis faite jolie, j’ai explos\u00e9 mon compte en banque dans une paire de bottes et j’ai respir\u00e9 un grand coup avant de rentrer dans le bureau de la directrice qui m’a… Glac\u00e9 les sangs.<\/p>\n
Le rendez-vous n’a pas dur\u00e9 longtemps. J’ai dis au revoir poliment, puis j’ai d\u00e9val\u00e9 les escaliers pour sortir respirer. C’est dans ma course effr\u00e9n\u00e9e que j’ai entendu :<\/p>\n
\u00ab\u00a0Jolies bottes…\u00a0\u00bb<\/p>\n
J’ai lev\u00e9 les yeux. Devant moi, un homme grand, gauche et souriant me regardait. Il \u00e9tait d’une \u00e9l\u00e9gance assez rare dans mon monde peupl\u00e9 de rockers en slim. J’ai rougi et je lui ai dit \u00ab\u00a0Merci, elles m’ont ruin\u00e9e !\u00a0\u00bb, il a souri, et je me suis envol\u00e9e.<\/p>\n
Le lendemain, mon t\u00e9l\u00e9phone sonnait.
\nAu d\u00e9but je n’ai pas bien compris qui me parlait, jusqu’\u00e0 ce que je r\u00e9alise que c’\u00e9tait cet homme que j’avais crois\u00e9 une seconde le jour d’avant. Il \u00e9tait le directeur des Cin\u00e9mas des Mus\u00e9es, il s’appelait B. Il avait ador\u00e9 mes bottes, et sur ce simple \u00e9clair de connivence avait d\u00e9cid\u00e9 que je serais sa stagiaire id\u00e9ale. Il avait parl\u00e9 \u00e0 la directrice du MAC qui, j’imagine, lui avait c\u00e9d\u00e9 ma candidature sans se faire prier.<\/p>\n
Une paire de bottes. Voil\u00e0 comment j’ai commenc\u00e9 \u00e0 bosser dans le cin\u00e9ma.<\/p>\n
Les cin\u00e9mas dont s’occupait B. \u00e9taient passionnants. Il \u00e9tait le programmateur, et tous les mois il pr\u00e9parait sa grille de programme comme on compose un menu id\u00e9al. \u00c0 chaque fois, il choisissait un th\u00e8me, le d\u00e9clinait en passant des films anciens ou modernes, inconnus comme des blockbusters, et organisait des conf\u00e9rences g\u00e9niales.<\/p>\n
Et moi, mon r\u00f4le, c’\u00e9tait qu’on parle de ses programmations dans la presse.
\nSans qu’on m’ait pr\u00e9venue, j’\u00e9tais devenue la nouvelle attach\u00e9e de presse.
\nAucune id\u00e9e de comment on faisait.<\/p>\n
Mes premiers jours ont \u00e9t\u00e9 douloureux : je restais au bureau jusqu’\u00e0 des heures pas possibles pour essayer de comprendre ce que j’\u00e9tais suppos\u00e9e faire. D\u00e8s que B. avait le dos tourn\u00e9, j’appelais ma meilleure amie, beaucoup plus d\u00e9gourdie que moi, qui \u00e9tait journaliste et m’expliquait tout ce qu’elle pouvait avec une patience de dingue.<\/p>\n
Je maudissais mes profs qui ne m’avaient m\u00eame pas appris comment on passe un coup de fil, je composais des communiqu\u00e9s de presse en faisant une compil de tous les communiqu\u00e9s que j’avais pu trouver (et ce, avant l’explosion d’Internet !)<\/p>\n
J’attendais toujours que B. soit sorti pour passer mes coups de fils aux journalistes tellement je devenais rouge comme une semelle de Loubout’, je n’arrivais pas \u00e0 articuler, je pense que je leur racontais n’importe quoi, encore plus quand j’appelais les Inrocks ou Lib\u00e9, mes magazine archiv\u00e9n\u00e9r\u00e9s \u00e0 l’\u00e9poque. Il m’arrivait d’avoir des blackouts totals et de raccrocher. Classe.<\/p>\n
N’emp\u00eache. Au bout de longues semaines de travail acharn\u00e9, mon stage s’est transform\u00e9 en travail et moi j’ai commenc\u00e9 \u00e0 \u00eatre plus organis\u00e9e, moins terroris\u00e9e, et m\u00eame, \u00e0 avoir des r\u00e9sultats : les cin\u00e9s faisaient le plein.<\/p>\n
Ils n’y avait pas que ces moments de sueurs froides, d’ailleurs.
\nB et moi on s’adorait, on avait \u00e0 peu pr\u00e8s la m\u00eame dose de folie et de joie. On rigolait tout le temps et on parlait beaucoup.
\nIl avait d\u00e9cel\u00e9 quelque chose en moi et avait d\u00e9cid\u00e9 de m’apprendre \u00e0 devenir programmatrice de cin\u00e9ma.<\/p>\n
C’\u00e9tait quelqu’un de brillant qui m’a fait imm\u00e9diatement confiance. C’\u00e9tait un r\u00eaveur qui m’emp\u00eachait de bosser pour me forcer \u00e0 aller voir des films \u00ab\u00a0viens, apr\u00e8s tu sauras pourquoi tu bosses\u00a0\u00bb. Ahah, comme il avait raison.<\/p>\n
Ce qui s’est pass\u00e9 gr\u00e2ce \u00e0 cette premi\u00e8re exp\u00e9rience, c’est que j’ai r\u00e9alis\u00e9 que j’\u00e9tais capable de… Travailler. Et m\u00eame d’adorer travailler ! J’avais compris qu’avec de l’\u00e9nergie et de l’envie on apprend vite. J’avais gagn\u00e9 un tout petit peu de confiance en moi.<\/p>\n
Juste assez pour me dire que peut-\u00eatre, peut-\u00eatre, peut-\u00eatre, si je m’autorisais vraiment \u00e0 d\u00e9lirer, peut-\u00eatre, un jour, je pourrais faire ce dont j’avais toujours r\u00eav\u00e9 : des dessins. Je n’avais fait aucune \u00e9cole d’art, je ne connaissais personne dans ce milieu. Je ne savais m\u00eame pas si je savais vraiment dessiner.<\/p>\n
En fait, je ne savais rien.<\/p>\n
J’avais juste l’impression que si je n’essayais pas, j’aurais toujours ce doute terrible au fond de moi. J’avais enfin grandi et j’\u00e9tais pr\u00eate \u00e0 prendre des risques. Et surtout je savais que si \u00e7a ne marchait pas, baaaaah. Je n’en mourrais pas. Je pourrais toujours \u00eatre attach\u00e9e de presse, ou monitrice de planche \u00e0 voile dans des camps de naturistes, voil\u00e0.<\/p>\n
J’ai d\u00e9cid\u00e9 de me lancer. J’allais devenir illustratrice, tiens.<\/p>","protected":false},"excerpt":{"rendered":"
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