Atelier Doré

J’avais hâte de lire le livre de Joan Juliet Buck, The Price of Illusion. Pour moi, Joan, c’était une aventurière. La première fois que j’ai entendu parler d’elle, elle était rédactrice en chef de l’édition parisienne de Vogue, et je ne l’ai plus oubliée ensuite : Joan Juliet Buck. Une Américaine qui a vécu à Paris, Londres et New York, et qui s’est forgé une réputation multifacette. Son livre m’a plongée dans un tourbillon de souvenirs, dans la tête, les émotions d’une femme à laquelle je m’identifie beaucoup. Indépendante, fragile, moderne, sentimentale, avec une sensibilité artistique… mais surtout, authentique.

On s’est donc rencontrées mardi au Bar Marmont, autour d’un café et de délicieuses pâtisseries (sans gluten, mais avec une petite cigarette), et on a discuté comme si on se connaissait depuis toujours. J’espère que vous aimerez cette rencontre autant qu’elle m’a plu !

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Revenir à Los Angeles…
Je suis revenue y vivre un an, en 1975-76, après avoir quitté le Women’s Wear Daily, parce que je voulais écrire un roman. J’ai passé mon permis à 27 ans, ce qui faisait hurler de rire les enfants de mes amis, qui n’avaient jamais vu quelqu’un d’aussi âgé apprendre à conduire. Los Angeles m’a offert deux choses cette année-là. La conduite et la lecture.

Les livres qu’elle a lus pour écrire le sien…
J’ai surtout lu des mémoires écrites par des hommes. J’ai lu par exemple “Full Service”, par un type qui tenait un bordel dans une station-service et qui a fourni tout LA. Je voulais voir ce que ça faisait d’être honnête.

Pour quoi elle a accepté le poste au Vogue français…
J’ai juste accepté parce que je n’avançais pas dans mon roman, je venais de me faire larguer, la litière de mon chat sentait mauvais, il neigeait… Je me suis dit, Pourquoi pas ?

Ce qu’elle attendait de ses employés chez Vogue…
Je voulais que le magazine soit drôle. Je voulais que les gens choisissent des sujets qui leur plaisaient vraiment. On est toujours dans ce distinguo entre ce qu’on doit faire/ce qu’on attend de nous et ce qui nous plaît/ce qu’on a envie de faire.

Sur son envie d’écrire après avoir quitté Vogue…
Il faut que je me remette à écrire. Ça fait des années que je n’ai pas écrit. J’ai passé mon temps en front row des défilés, des chaussures ultra-douloureuses aux pieds, à faire des salamalecs. Pendant presque sept ans, je n’étais pas dans la vraie vie. Je ne suis pas très inspirée en tant qu’auteure.

Ce qu’elle a appris en écrivant ce livre…
Avant d’écrire ce livre, j’avais l’impression que j’allais faire une espèce de patchwork composé d’erreurs et d’échecs. Attention, je vais faire du name-dropping : un jour, Lou Reed, un ami, m’a dit : « Tu devrais écrire un livre qui s’appelle ‘Comment tout rater’. » Je n’ai rien à exhiber, sauf ce que j’ai dans le cœur, et c’est ce que j’ai mis dans le livre. Et en écrivant, je me suis rendu compte que j’avais eu une vie bien remplie. C’est juste que je n’avais aucun trophée, aucune récompense à exhiber.

Sur ce qu’elle pense des cures de désintox (elle n’a jamais été addict à quoi que ce soit)…
Je me suis dit que ces désintox devaient regorger de vraies gens. Et comme ce sont des endroits très protégés, confidentiels, je me suis dit que je pourrais pleurer en public, comme tout le monde. Je me suis dit que je pourrais rencontrer des gens, sans fard. Pas une seconde je ne me suis dit que j’allais passer pour une droguée !

A propos de l’univers de la mode qui ne lui manque pas du tout…
On regarde un défilé après avoir attendu une heure, parfois deux. Il y a 12 minutes de show et après, on va voir le designer pour lui dire à quel point il est génial. Passer de cet environnement à paillettes absurde à un studio de répétition miteux, entourée de gens qui sont habillés de manière ordinaire… Juste se retrouver là et répéter une scène… c’est génial.

Indépendance chérie…
Se perdre dans un autre, c’est un problème. C’est pour ça que je suis ravie d’avoir 68 ans, parce que je ne m’investirai plus avec aucun homme. Ça ne m’intéresse pas !

A propos de son père, qui a vécu avec elle sur le tard…
Une année, pour mon anniversaire, je l’ai emmené chez Caviar Kaspia, juste lui et moi, tous les deux. Je lui ai dit que s’il ne me parlait pas de la guerre, on pourrait prendre du beluga. Il me dit « Ok ». Je commande le beluga, et là, il me parle de la guerre !

L’aventure de l’écriture…
Si on sait ce qu’on va écrire avant d’avoir commencé, on s’ennuie, on n’a pas d’énergie, on n’a pas envie d’écrire. Mais si ça reste une aventure, une découverte, c’est beaucoup plus enthousiasmant. On se surprend soi-même et on ravit ses lecteurs !

Comment elle aimerait vivre…
J’aimerais croire qu’on peut vivre sans être faux.