STUDIO VISIT / BATSHEVA HAY
6 years ago by
La designer Batsheva Hay n’est pas vraiment la mère typique de l’Upper West Side. Enfin, sur bien des points, si – on peut souvent la voir pousser sa poussette chez Zabar’s en Birkenstock ou se balader dans Central Park avec le New Yorker dans son tote bag. En réalité, elle se nourrit de l’énergie et des stéréotypes de la “folle de l’Upper West Side” personnifiée par Elaine Benes et habillée en vintage par Laura Ashley et Betsey Johnson. Mais avec sa collection ultra-cool de robes, Batsheva fait quelque chose de plus à partir de tout ça, en y incorporant son intelligence et sa vision nuancée du féminisme et de l’histoire de l’art.
Elle mélange le quotidien avec le sublime, en posant dans des robes sophistiquées à froufrous dans des endroits du coin, comme les magasins Mattress Firm ou Staples du quartier. Dans l’esprit de Cindy Sherman et de Judy Chicago avant elle, elle joue le rôle de la femme au foyer perturbée avec un twist entendu et ironique. Son époux, le célèbre photographe de mode Alexei Hay, poste des portraits d’elle à l’allure ancienne, en noir et blanc, sur Instagram avec le hashtag #MyHolyWife (MaSainteFemme). Bien que cette ironie fasse intégralement partie du branding et de l’identité de Basheva, la part de sainteté est profondément authentique. Sa foi juive lui apporte une inspiration créative infinie pour son travail de design et la guide dans la manière dont elle choisit de construire sa vie familiale – les rituels et le sens en arrière-plan.
Nous avons toutes été instantanément charmées par sa douceur et fascinées par le monde excentrique qu’elle a créé. Pour le dire simplement, je la trouve formidable. Et je ne peux que rêver d’être comme elle – une créatrice authentique, une mère généreuse et une féministe radicale avec l’engagement stricte de n’être rien moins qu’elle-même, sans honte – quand je serai grande.
Ton style en trois mots.
C’est difficile parce que je le définis par des contrastes. Comme naïf mais vieux-jeu. Et aventureux. Il faut un peu de courage pour le porter !
Qu’est-ce qui compte le plus en matière de style : le confort, la beauté ou l’innovation ?
Je pense que c’est la beauté, mais sans l’ombre d’un doute, la beauté confortable. Je ne porterais jamais un vêtement dans lequel je ne me sentirais pas à l’aise. Mais parfois, quand on porte quelque chose de réellement beau, qui vous éblouit, cela semble confortable même si ce n’est pas nécessairement une pièce “confortable”.
La pièce la plus précieuse que tu possèdes ?
Mes baskets. En fait j’imagine que ce sont les baskets qui sont le plus usées. Mais les pièces les plus précieuses, ce sont les vieux vêtements de ma mère.
Tu as porté la robe de mariage de ta mère à ton mariage. Et tu fais des robes assorties à tes créations pour ta fille. Il y a un principe d’héritage inhérent à ton travail. Selon mon expérience, à la fois de la féminité et du judaïsme, le principe de transmission des choses – vêtements, recettes, traditions, etc. – semble particulièrement important. Le fait de transmettre, et les manières dont cela s’intègre dans tes propres pratiques, est-ce que ce sont des choses auxquelles tu penses pendant le processus créatif ?
Tout à fait. Je pense que j’ai toujours en tête l’idée que si c’est encore là, c’est sans doute pour quelque chose, c’est sans doute bien. Nous jetons tellement de chose – ça ne dure pas juste parce que ce n’est pas si bien. C’est un test qui se passe, quand on garde quelque chose, qu’on continue à l’utiliser et qu’on le transmet. Cela ajoute de la valeur et du sens. Je m’appuie pour mes créations sur des choses que j’ai gardées, que ma mère a gardées, que ma grand-mère a gardées. Et c’est exactement la même chose pour les recettes, même si je n’avais jamais explicitement fait le lien entre les deux avants. J’utilise cette recette qui était celle de la grand-mère de mon mari. Et il se trouve que c’est juste une recette géniale, elle a survécu au test du temps.
Ta marque a une silhouette très singulière et reconnaissable. Est-ce que cela t’intéresse de la développer ou es-tu plus intéressée par le fait de la polir, de la parfaire et de jouer avec les motifs et l’humeur à l’intérieur de cette coupe ?
Merci ! C’est sûr qu’il y a une silhouette qui semble être mon uniforme. J’aime l’idée d’avoir un uniforme – et je continue à le tester avec différents tissus chaque saison, des variations sur la première robe que j’aie jamais faite. Mais aussi, à chaque fois que j’essaie quelque chose de différent, j’atteins de nouvelles personnes, ce qui est bien. Puisque les tissus que j’utilise sont très singuliers (ils sont faits pour les meubles), je peux faire beaucoup de choses différentes. Je pourrais tout à fait faire un short dans ce tissu ! Mais je n’en ai pas nécessairement envie parce qu’il faudrait que ce soit un short qui fasse sens à mes yeux. Je pense qu’il y a une grande marge de manoeuvre avec différentes pièces et silhouettes tout en continuant à utiliser les tissus que j’aime. De la même manière, je peux aussi utiliser les silhouettes que j’ai déjà avec des tissus différents !
Comment fais-tu pour trouver des tissus ?
C’est en train de changer. Mais quand j’ai commencé, littéralement, eBay. Je suis allée chez un fabricant de motifs et j’ai fait faire quelques motifs. La nuit, j’allais sur internet pendant que mes enfants dormaient et je cherchais sur eBay des tissus cools en petite quantité. Je continue à chercher des tissus uniques sur eBay et aux puces. Mais ensuite, j’ai évolué vers les tissus d’ameublement parce que j’avais l’impression que c’était la suite logique pour moi. Toutes les robes vintage que j’avais étaient en tissu à matelas Calicot. Et aujourd’hui, j’essaie d’en faire quelques-uns moi-même – j’aimerais pouvoir jouer davantage avec les imprimés donc je dessine les miens.
“Untitled Film Stills” de Cindy Sherman fait partie de tes inspirations. Elle se met elle-même en scène dans ce travail, comme tu te mets toi-même en scène dans ton dernier lookbook. Vous jouez toutes les deux sur les archétypes féminins – la carriériste, la femme au foyer, etc. Je me demande si tes créations et la marque que tu as créées semblent s’inscrire dans la continuité du projet de Sherman, sous un angle différent ? Comment vois-tu l’influence de Sherman et quel commentaire voudrais-tu faire sur la féminité contemporaine ?
Pendant mon enfance, ma mère était la plus cool. Elle était artiste et elle m’a emmenée au MoMA pour ce spectacle, “Film Stills”. C’était sans doute dans les années 90, quand le MoMA l’a acheté. Je me souviens m’être dit que c’était vraiment génial parce que cela semblait très authentique et que je n’avais jamais rien vu dans un musée auquel je pouvais personnellement m’identifier, que je pouvais vraiment comprendre, et j’avais l’impression que là, je pouvais. Et je me sentais très punk et féministe et cool. C’est vraiment ce que j’ai toujours admiré.
J’ai commencé à me servir de moi comme mannequin par nécessité parce que je n’avais pas accès à des mannequins et comme mon mari est photographe, il pouvait me prendre en photo. Mais j’avais vraiment toujours Sherman en tête, particulièrement l’idée de la femme au foyer avec laquelle jouer. Et j’utilise d’autres références aussi. Comme cette pièce que je fais en ce moment qui est inspirée par Judy Chicago, une autre artiste féministe qui joue avec l’idée de la femme au foyer dans son oeuvre “The Dinner Party”. Je crois que cela fait aussi partie de l’ironie de mes vêtements. J’essaie d’intégrer cet esprit féministe dans mes vêtements, à partir des oeuvres de ces artistes.
Tu es entourée d’art et d’artistes – avec ton mari et ta belle-mère. Est-ce que le fait de partager un studio avec eux donne l’impression d’un projet artistique collaboratif ? Est-ce que vous travaillez en vous inspirant mutuellement ? Et trouves-tu important d’impliquer tes enfants dans l’art ?
Je n’y ai jamais vraiment pensé spécifiquement, à l’idée d’exposer nos enfants à l’art parce qu’il y en a tellement autour d’eux que je pense qu’ils le comprennent. Ma belle-mère (painter, Claudia Aronow) utilisait ce studio au départ, c’était vraiment son espace. Puis nous l’avons envahi, peu à peu. Cela a commencé avec mon mari et son matériel de photographie. Et maintenant sa mère fait aussi de la photographie. Mais à l’époque, j’étais encore avocate. Maintenant nous utilisons tous cet espace, ensemble et individuellement. Les moments où nous y faisons des shootings ensemble n’arrivent que rarement. Le plus souvent, je suis à ce bureau-ci et il est à ce bureau-là. Nous avons besoin de nous arranger parce que cela peut vite devenir chaotique, du genre “J’ai un rendez-vous ici” “Non, c’est moi !”. Mais c’est agréable de nous voir toujours aller et venir. Et ma belle-mère est toujours en train de changer les peintures ici – c’est si agréable ! Et je crois que beaucoup de créatifs font l’expérience de la solitude quand ils travaillent. Donc c’est agréable d’avoir ses proches et des invités inattendus travailler en parallèle.
On dirait que la métamorphose et la transformation ont été des références importantes dans ta vie. Penses-tu que, en tant que designer et créatrice, tu t’appuies sur le changement – imagines-tu de nouvelles transformations ? Ou penses-tu que tu t’es fixée dans cette version actuelle de toi, en ce qui concerne ta carrière et ton style ?
Je crois que je ne me suis jamais considérée comme une créatrice, pas exactement. Mais je crois que je suis quelqu’un qui a besoin et désire le changement. Et j’ai l’impression que cela ne correspondait pas vraiment avec la personne que j’étais en train de devenir (quand je travaillais comme avocate), particulièrement quand j’ai décidé que je voulais avoir des enfants et que je voulais les voir le soir. Je n’ai jamais été à l’aise avec l’idée du “quotidien”. C’était une chose que je n’aimais vraiment pas quand je travaillais dans un gros cabinet d’avocats corporate. C’était “Ok, on mange encore la même chose”, la totale. Alors qu’aujourd’hui, je suis sûre que les choses vont changer, même avec ça. Même si c’est juste créer une collection de poupées ou faire des draps pour la maison ou n’importe quoi. Je ne sais pas encore ce que ça sera et je crois que je suis à l’aise avec ça. Il y a l’idée de m’adapter à ce qui vient…
C’était une entreprise née du hasard ! Quand j’ai abandonné le droit, j’ai délibérément essayé plein de choses. Je voulais écrire, je voulais faire des choses. C’était une si belle surprise de trouver quelque chose que j’aimais vraiment. Parce que je ne crois pas que j’aurais eu l’audace de dire “Je veux être une créatrice.” Parce que, qui suis-je après tout, vous voyez ? Mais une fois que j’ai commencé à faire des choses, c’était vraiment marrant et j’ai commencé à créer cette robe folle ! En démarrant, si j’avais eu en tête l’idée de “lancer une marque”, je n’aurais pas commencé comme ça. J’ai juste fait quelque chose pour moi qui était exactement ce que je voulais, et c’était une expérience tellement plus enrichissante qu’essayer de planifier une carrière. S’autoriser à faire des petites expériences créatives dans la vie est si important ! Il faut juste essayer !
Est-ce que le fait de faire le Shabbat contribue à renouveler ton énergie créative ? En quoi est-ce que ta relation avec ton travail créatif bénéficie de cette pause chaque semaine ?
J’ai commencé à le faire il y a 6 ans, quand j’ai rencontré mon mari. C’était très difficile au début mais j’y suis beaucoup plus habituée maintenant. Quand ça approche, je me dépêche toujours pour tout finir. Mais à chaque fois, j’en sors vraiment motivée et prête à faire différentes choses. Cela m’aide vraiment beaucoup.
Cette année a été particulièrement folle parce que les fêtes juives étaient au milieu de la Fashion Week à New York ! Ma présentation avait lieu le lendemain de Roch Hachana – soit 48h où je n’ai pas utilisé mon téléphone ou mes mails. Et je m’y suis tenue ! Ça s’est fini à 20h, ma présentation était le lendemain et j’avais un milliard de choses à faire. Tout le monde était un peu fâché contre moi mais ils étaient aussi en mode “Ok tant pis, qu’est-ce qu’on peut y faire”. Ma styliste est venue de Londres et du coup, elle était là “Ok on peut passer toute la journée d’avant à travailler sur le style” et j’ai répondu “En réalité, non. Mais je peux te retrouver au Bowery Hotel à 21h et on pourra décider !” C’était comme ça. C’était un timing particulièrement mauvais mais c’était aussi incroyable. Je sais que j’aurais passé ces 48h à stresser sur chaque détail. Et je n’ai pas entendu parler des 13 questions du coiffeur, je veux dire que d’autres personnes ont dû s’en occuper. Et c’est sûr que beaucoup de gens se disaient “Qu’est-ce qu’elle a dit à ce sujet ? Je ne sais pas !” En ce sens, j’ai été indulgente avec moi-même. Mais c’était bien et j’en suis sortie tellement prête à tout faire et à être là.
Et en réalité, je ne passerais pas autant de temps avec mes enfants sans Shabbat. Si j’avais toujours mon téléphone avec moi et si je pouvais faire tout ce que je veux, quand je le veux – c’est difficile de choisir de juste rester là avec ses enfants, à cuisiner et ne rien faire d’autre qu’être ensemble. Je ne recommanderais pas vraiment que ce soient les deux jours avant la journée la plus importante de la saison, mais une fois par semaine, c’est parfait. Ce n’est qu’une journée, 24h – on se réveille tard, on déjeuner, on passe du temps ensemble et c’est fini.
C’est tellement incroyable que tu sois restée fidèle à toi-même et que tu aies créé cette chose qui est complètement ton propre style, mais aussi quelque chose que tout le monde adore et veut !
Oui, ce n’était pas le cas au début ! C’est intéressant parce que j’avais des réactions fortes et positives en me baladant, on m’arrêtait dans la rue. Dès que mes amies portaient mes vêtements, elles me disaient qu’elles avaient plein de questions. Mais pendant un moment, je n’étais pas du tout acceptée par le monde de la mode. C’était comme un rejet complet de la mode au début. J’ai essayé et réessayé parce que j’y croyais tellement. Ce qui est dingue, c’est que je n’ai pas beaucoup confiance en moi. Mais pour ça, j’avais incroyablement confiance parce que j’avais fait quelque chose que je n’avais pas trouvé ailleurs et que j’adorais. J’allais simplement continuer à le porter. Les gens étaient là “Quoi, quoi, quoi ???” jusqu’à ce que, d’un seul coup, ils soient “Ok, on veut écrire à ce sujet, maintenant on s’y intéresse.” Je crois que j’ai juste continué. J’ai aussi eu quelques coups de chance qui ont aidé (Natalie Portman a porté une de mes robes) et cela a fait boule de neige, ça a vraiment commencé à être apprécié.
Love her look! Interesting how the fabrics look so familiar; they seem like a kind of fabric known in Portugal as « chita ».
Very Cool ! First thing that came to my mind was that the character Lulu from HTMIIA was inspired by Bastsheva!!!
Again…Very Very Cool!!!
When I first became aware of her, I decided that I didn’t care for her dresses at all. I still don’t really, but I am interested in her after reading this interview and understanding more about her opinions and motivation.
Loved it! Thanks
fron
What an absolutely delightful peek into the life of the designer of BATSHEVA dresses! It took me back to my early upper west side, NYC days where on would suddenly spot a quirky mom in the park with a stroller and a dog. Something about that lady would make me take a seat on a bench and hope that she would amble passed on her way back home from shopping at Zabaars so that I could study her look a bit more thoughtfuly. You asked really wonderful questions that resulted in a nicely nuanced picture. Haaa… I am wandering over to my old Laura Ashley dress as we speak. I want to embody this spirit right now… Thanks you your delightful interview!